« Je suis Charlie, juif, policier », « Liberté,
égalité, dessinez, écrivez », « Je suis musulman mais pas terroriste »…: des
centaines de milliers de personnes déferlaient dimanche après-midi dans le
centre de Paris pour conjurer la peur mondiale du terrorisme et rendre hommage
aux 17 personnes tuées dans les attentats revendiqués par des jihadistes.
« Allons enfants de la patrie… », « Nous sommes tous des policiers », « Nous
sommes tous hyper-casher »…: à 15H00, la foule se masse place de la
République, épicentre de la douleur, de l’émotion, de la peur, de la colère et
de l’espoir depuis le début de la série des trois attentats mercredi qui ont
mis la France et le monde en émoi.
Au pied de la statue qui symbolise la République, hommes et femmes de tous
âges et toutes origines alternent des moments de grand silence, d’hommage à
toutes les victimes des attentats (journalistes, policiers, clients d’une
épicerie casher…), et de communion intense dans les symboles de la France et
sa République.
Des dizaines de manifestants agitent des drapeaux français et étrangers
juchés sur le socle de la statue, pendant que les familles des proches des
victimes viennent prendre place en tête du cortège.
Chaque manifestant transforme sa propre identité en manifeste pour la
tolérance dans ce pays où un Français sur quatre affiche des origines
étrangères: « Je suis marocaine, musulmane, née en France, chez les bonnes
soeurs en plus, syndicaliste CGT. J’ai habité en France toute ma vie. C’est le
cas de beaucoup de personnes, il faut le montrer. Je suis la France. Vive la
liberté! », proclame ainsi Myriam, la quarantaine, en route avec son compagnon
français.
A l’angle de la place, des jeunes ont brandi une toile: « Je suis musulman,
mais pas terroriste. »
« Je suis Français, je m’appelle Jean, Ahmed, Clarissa, Stéphane, Yohan »,
proclame pancarte à l’appui Jean-Pierre Laurent, producteur de spectacles de
60 ans, en reprenant le prénom des victimes.
« Vous pouvez faire ce que vous voulez, me buter demain, mais vous ne
gagnerez jamais », dit-il. Sa fille de 22 ans a tenté de le dissuader de se
rendre à la marche, il n’a pas hésité un seul instant à venir.
– ‘Je n’ai jamais manifesté mais là…’ –
Les pleurs et la peur, la colère et l’humour, les tensions derrière
l’unanimisme… Des sentiments partagés traversent une manifestation qui
s’annonce la plus massive de l’histoire de France contemporaine, dépassant
celle de la Libération de Paris en 1944 ou la liesse populaire après la
victoire de l’équipe de France au Mondial en 1998.
« Julia est malade mais on lui a donné des comprimés, on lui a dit que
c’était important pour nous », raconte une mère de famille, Catherine venue
avec sa fille Julia, 10 ans. Catherine ajoute, des sanglots dans la voix,
combien ses enfants ont eu peur. « Ils nous ont demandé ce qu’il se passait,
s’ils étaient au ciel, s’il fallait être gentil, compréhensifs? » La famille
habite porte de Vincennes, près de l’épicerie casher où a eu lieu la prise
d’otages, « un quartier calme, où les communautés sont mélangées ».
Dans cette manifestation hors normes, les 5.500 forces de l’ordre
mobilisés, dont des tireurs d’élite sur les toits, doivent se livrer à un
double exercice inédit et périlleux: gérer la présence d’une foule immense et
la sécurité d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement parmi les
plus protégés du monde, qui rejoignent le cortège à mi-parcours avec François
Hollande.
Une source de stress supplémentaire pour des manifestants traumatisés par
les tueries et les prises d’otage.
« Il va y avoir tellement de gens, de chefs d’État, des représentants
palestiniens… Et les gens font tellement d’amalgames sur tout qu’on n’est à
l’abri de rien », dit Alison, 26 ans, qui se présente de confession juive non
pratiquante.
« Depuis hier je ne sais pas ce qui m’a pris, je n’aurais jamais pensé être
si lâche », avoue-t-elle, honteuse d’avoir si longtemps hésité à venir.
« Je n’ai jamais manifesté mais là… »: un nombre considérable de citoyens
ordinaires commencent par cette phrase leur témoignage aux journalistes de
l’AFP.
L’émotion s’engouffre même ce dimanche pas comme les autres dans les
couloirs du métro parisien, théâtre habituel du repli sur soi et de
l’indifférence: « Je suis vraiment heureux de travailler aujourd’hui et de vous
emmener à la manifestation républicaine », lance le machiniste d’un train sur
la ligne 8 qui suit en partie le tracé du cortège. Les passagers applaudissent.
bur-afp/st/glr/DS