À la veille de la visite du Président américain du 13 au 16 juillet en Israël, puis en Arabie Saoudite en passant par Ramallah et une rencontre à Djeddah avec les membres du Conseil de Coopération des Pays du Golfe + 3 – Égypte, Jordanie et Irak -, sur fond d’Accords d’Abraham, un pays musulman d’Afrique de l’Est, signataire de ces Accords en janvier 2021, le Soudan, observera de près son déroulé.
Le Soudan
En mars 2009 Omar Bashir, arrivé au pouvoir au Soudan en 1989, grâce à un coup d’état soutenu par les islamistes, était inculpé par la Cour Internationale de Justice pour crimes commis au Darfour En avril 2019, il était renversé par un coup d’État militaire, sur fond d’émeutes. Un Conseil militaire de Transition, CMT, composé de militaires et de civils, était constitué, chargé d’amener le Soudan vers la démocratie. À sa tête, le général Abdel-Fatah Burhan, chef des armées. Son second et proche conseiller, le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, chef de la Force de Soutien Rapide. On dit de lui que c’est le stratège du duo et le personnage prépondérant au Soudan. Ce sont des militaires anti-frères musulmans, soutenus par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes uni ou l’Égypte. Abdel-Fatah Burhan a d’ailleurs été élève de l’Académie militaire égyptienne et certains surnomment Hemedti le Al-Sisi soudanais. Le CMT s’engage alors à restructurer l’armée en accord avec la Constitution. Le Conseil militaire de Transition, comprenant des civils, était modifié à son tour, en octobre 2021, ne conservant que des militaires, ou des civils nommés par eux, avec un premier ministre qui finit par démissionner en janvier 2022. Depuis mars 2022 le général Burhan est, de fait le chef de l’État. Celui-ci vient d’annoncer un nouveau bouleversement il y a quelques jours, le 4 juillet 2022, à savoir que les militaires allaient se retirer du Conseil souverain qui serait dissout, une fois qu’un gouvernement civil serait établi. L’armée se regroupant dans un Conseil Suprême des Forces Armées chargé, notamment, de la politique étrangère. On peut sans doute y voir le résultat des pressions américaines dues aux manifestations actuelles au Soudan et leur répression. Ou encore la récente visite de Hemedti en Russie. À l’issue de cette visite il avait déclaré ne pas voir d’inconvénient à l’établissement de bases navales sur la côte soudanaise, longue de plus de 850 kms.
Annonce accueillie avec scepticisme, les divers mouvements civils soudanais étant pour la plupart à couteaux tirés. Le Département d’État américain estime, pour sa part, qu’il est trop tôt pour se prononcer.
Le Soudan se rapproche de l’Arabie Saoudite et des EAU
Sous la direction du CMT, le Soudan, qui a une majorité musulmane sunnite, avec 70% d’Arabes, une petite minorité chrétienne et plus de 500 groupes ethniques, avec une population très jeune, un taux de chômage très élevé, a rejoint l’Arabie saoudite et les EAU dans leur guerre menée contre la milice terroriste pro-iranienne Houthi au Yémen, y envoyant des milliers de soldats, touchant de bons salaires. Mais nombre d’entre eux sont tombés au combat. Cette milice a déchiré le pays dans une longue guerre civile avant qu’un accord de paix fragile entre les factions vienne d’être signé sous les auspices de l’ONU. Accord partiellement respecté.
Le Soudan et le Hamas
Sous le règne d’Omar Bashir, proche des islamistes, le Soudan était très hostile à Israël, accueillant notamment sur son sol les mouvements terroristes du Hamas ou du Jihad Islamique. Des membres de ces groupes terroristes y avaient établi diverses entreprises générant d’énormes revenu, se chiffrant à des centaines de millions de dollars, dispensés de taxes par le pouvoir en place. Le Soudan était également utilisé pour y faire transiter des armes envoyées ensuite à Gaza, ce pays ayant des centaines de kilomètres de côte sur la Mer Rouge.
En septembre 2021 le Conseil Militaire de Transition mettait un terme à cette présence terroriste sur son sol et à ses agissements. Acte fort qui a valu au Soudan d’être rayé de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme, où il avait été placé en 1993, et un dégel de subventions pour ce pays. Toutefois, l’administration Biden réimposait en mars 2022 des sanctions contre une force de police soudanaise accusée de crimes contre des manifestants lors des récentes émeutes.
Le Soudan et Israël, une normalisation pas à pas
- Le 3 février 2020 le Premier ministre israélien de l’époque, Benyamin Netanyahou, rencontrait le général soudanais al-Burhan à Entebbe en Ouganda. Ville où son frère, Yoni, avait été tué lors d’une opération pour faire libérer des otages juifs kidnappés dans un avion. Une rencontre pour discuter de normalisation entre les deux pays, saluée entre autres, par Mike Pompeo, alors Secrétaire d’État.
- En octobre 2020 le Général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, numéro 2 du Conseil Souverain du Soudan, évoquait dans une interview télévisée l’établissement de liens avec Israël, notant que l’État hébreu « est un pays développé. Le monde entier travaille avec Israël…pour notre développement, pour notre agriculture, nous avons besoin d’Israël »
- Toujours en octobre 2020, dans une interview accordée à l’agence de presse “Middle East News Agency” le général disait estimer à 90% le soutien de la population soudanaise à une normalisation avec Israël. Et il ajoutait que les « Trois Non » de Khartoum lors du sommet arabe de 1967 – non à la paix avec Israël, à la reconnaissance d’Israël, aux négociations avec Israël » n’avaient pas été bénéfiques pour le Soudan, provoquant un isolement de plus de 27 ans. Il disait vouloir que le Soudan établisse des relations avec tous les pays du monde, y compris Israël »
- En janvier 2021 le Soudan signait les Accords d’Abraham
- La loi datant de 1958 qui interdisait aux Soudanais toute relation diplomatique et commerciale entre des Soudanais et Israël a été abrogée en avril 2021 par le Conseil souverain et le Conseil des ministres.
- En octobre 2021 une délégation de militaires soudanais, conduite par le frère de Mohammed Hamdan Dagalo, se rendait en Israël. Et une délégation de haut niveau israélienne se rendait à Khartoum.
Une normalisation saluée par nombre de pays, comme le Bahreïn ou les EAU, qui y voient un pas supplémentaire pour avancer vers la paix, la stabilité et la prospérité dans la région. Même réaction du ministre canadien des Affaires étrangères, Philippe Champagne, ou de responsables allemands. Le Britannique Dominic Raab, alors ministre de la Justice du Royaume Uni, y voyant aussi un élément moteur pour la démocratisation du Soudan. Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, disait l’espoir que suscitait cette normalisation.
Rôle de Hamdan Dagalo, œuvrant dans l’intérêt du Soudan
Nombre de diplomates s’accordent à voir en Mohamed Hamdan Dagalo, homme fort du Soudan, très conscient de l’importance d’Israël et de l’établissement de relations entre son pays et l’État hébreu, l’architecte de cette normalisation. Il place au cœur de son action l’intérêt du Soudan et des Soudanais, quels qu’ils soient. Arabes ou Africains, Musulmans ou pas, venant de villes ou de villages, « un Soudan inclusif ayant tiré les leçons de ses erreurs passées ». Ce qu’il expliquait en août 2019 à la journaliste anglo-soudanaise Zeinab Badawi, dans son émission Hardtalk de la BBC.
https://www.bbc.com/news/av/world-africa-49381232
Le Darfour
Hamdan Dagalo, lui-même originaire du Darfour, venant de la tribu Rizeigat, est parfois accusé de violences lors de la guerre dans cette région. Toutefois dans un reportage exceptionnel réalisé en juin 2008 par une autre journaliste d’origine soudanaise, Nima Elgabir, ses hommes et lui expliquent qu’ils ont alors combattu sur ordre du gouvernement de Khartoum contre des rebelles mais ont refusé d’intervenir contre des civils. Il n’est d’ailleurs pas poursuivi par la Cour Internationale de Justice.
Laura Jollès