Atlantico a pu lire en exclusivité les comptes-rendus en temps réel, heure par heure, minute par minute, des compagnies de CRS présentes sur le terrain. Edifiant.
Ce que révèlent les comptes-rendus de la police sur ce qui s’est réellement passé à Barbès et à Sarcelles
On y apprend que 200 personnes cagoulées, armées de bâtons, ont tenté d’attaquer une synagogue à Sarcelles. De mettre le feu à la gare RER de Garges-les-Gonesse-Sarcelles. Des feux de poubelles ont été allumés. Des voitures de police littéralement défoncées à coups de pieds. Scènes de désolation, de guerre dans cette commune située à 15 kilomètres seulement de Paris. 18 personnes seront interpellées dont deux femmes âgées de 58 et 60 ans. Et deux individus arrêtés pour incitation à la haine raciale.
La veille, le 19 juillet, toujours dans leurs comptes-rendus sur la manifestation à Barbès, les CRS feront état de heurts d’une rare violence avec les émeutiers. Une dépêche note qu’un policier a été mordu à l’oreille. Une autre qu’un fonctionnaire s’est fait voler son portable par un émeutier. Du jamais vu lors d’une manifestation. Enfin, les comptes-rendus font état de dégâts physiques dont ont été victimes de nombreux policiers. On ne compte plus les sifflements d’oreilles, les coups aux tibias ou les épaules couvertes d’ecchymoses…
Récit – Le 20 juillet 2014 restera longtemps gravé dans la mémoire des Sarcellois. Pour la première fois depuis des lustres – peut-être depuis l’Occupation – la haine antisémite s’est répandue dans une ville. Des manifestants ont systématiquement saccagé des commerces tenus par des Juifs – et voulu s’approcher d’une synagogue de la ville, celle de l’avenue Paul-Valéry, sans doute pour la saccager. Incompréhensible dans cette commune de 60 000 habitants où cohabitent en bonne intelligence, depuis des décennies, des Juifs originaires d’Algérie, des Marocains, Tunisiens, Algériens et Chaldéens…
Jusqu’à ce 20 juillet 2014, – jour de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv qui a eu lieu les 16 et 17 juillet 1942 – où ce consensus, symbole du vivre ensemble, symbole aussi de l’unité de la République a été bousculé.
Pis encore : foulé aux pieds. Tout cela, à cause d’une manifestation en faveur du peuple palestinien, interdite certes, mais qui a donné lieu à des scènes de guerre encore jamais vues à quinze kilomètres de la capitale. Au départ, pourtant vers 15 heures, 500 manifestants laissent s’exprimer quelques orateurs. Puis au moment de la dislocation, suivie de près par la compagnie de CRS n°10 du Mans, une cinquantaine de personnes cagoulées cherchant le contact avec les forces de l’ordre se met à lancer des projectiles. Quelques minutes plus tard, un groupe de 200 jeunes cagoulés, armés de bâtons, souhaitent se rendre à la synagogue. On est au bord de l’insurrection. Le commandant de CRS, dans son rapport, note qu’il s’agit de » 200 personnes hostiles en agression violente ». Des grenades sont lancées. Les jeunes sont tenus à distance de la synagogue de l’avenue Paul -Valéry. Des feux de poubelle commencent à prendre. Les manifestants – méritent-ils ce nom ? – se replient du côté de la gare du RER D de Garges- les-Gonesse-Sarcelles. Au nombre de 300, ils veulent incendier la gare. Un feu a pris sur la rame de tramway T 5 qui relie Garges- les-Gonesse-Sarcelles.
Le harcèlement contre les forces de l’ordre, visés par des engins incendiaires, s’intensifie. On voit des scènes ahurissantes. Quasi apocalyptiques comme il en existe au cinéma. Des voitures de police sont saccagées. Une partie de la ville de Sarcelles semble dévastée. N’était une fois encore le sang- froid des CRS, cette manifestation aurait pu virer au drame. Un sang -froid qui se paie. Durement : de nombreux policiers sont sonnés. Ainsi, à la CRS n°55, on recense un fonctionnaire touché à la cuisse droite à la suite du lancement d’un projectile, un autre est atteint de sifflements d’oreilles, un troisième se plaint d’une forte douleur à la main droite… Vers 23 heures, la ville dirigée par le socialiste François Pupponi avait retrouvé un semblant de calme. Dix- huit personnes ont été interpellées. Parmi elles, phénomène nouveau, deux femmes âgées de 58 et 60 ans. Motif : participation à un rassemblement interdit par la préfecture de police. Deux garçons d’une vingtaine d’années ont été arrêtés pour incitation à la haine raciale : ils avaient « fait » une quenelle devant un policier…
La veille, le samedi 19 juillet, la violence était, elle aussi, au rendez-vous. Ici boulevard Magenta, là, boulevard Barbès ou dans les rues adjacentes.
En tout, 14 compagnies de CRS venant de toute la France ont été mobilisées et ont stationné dans les endroits stratégiques, où se trouve une communauté juive importante, notamment dans le Maraiset non loin de la Place des Vosges. Une compagnie de CRS avait pris place rue Matignon, pas très loin de l’ambassade des Etats-Unis. Sans se prononcer sur le bien-fondé de l’interdiction ou non de la manifestation, certains responsables policiers, mezza voce, pensent que la zone autour de Barbèsaurait pu être sécurisée totalement.
Une façon de se demander si le Préfet de police Bernard Boucault a bien mesuré l’ampleur possibledes débordements de manifestants dont quelques-uns relevaient davantage des bancs de la correctionnelle que de la cause palestinienne…
Et ces manifestants, en réalité des casseurs professionnels, structurés « comme des maquisards » nous a dit un CRS sur le terrain à Barbès le 19 juillet, venus de banlieue, ne se ont pas privés de desceller le mobilier urbain ou d’aller menacer une pharmacienne qui critiquait un peu vivement un casseur. « Ferme ta gueule ou on fout le feu à ta pharmacie », s’est-elle vu répondre.
Combien étaient-ils ces casseurs ? Une cinquantaine ? Une centaine ? Peut-être. Sur un millier de personnes qui lui, croyait à la cause palestinienne.
En tout cas, ces petits groupes, très mobiles, ne se sont pas privés d’envoyer des tessons de bouteilles, barres de fer, pavés et autres projectiles sur les CRS. C’est ainsi que les membres de la CRS n° 31, celle de Darnetal (Seine-Maritime) a connu de durs moments. Alors qu’elle se trouvait en mouvement à 15 heures 30, sur le boulevard Barbès, littéralement assommée de jets de bouteilles de verre, elle a dû répliquer et lancer des grenades.
C’est ainsi qu’en 3 heures de temps, les hommes de la CRS n° 31 ont lancé 380 MP7 – des grenades qui comportent 7 petits pots prêts à exploser – et utiliser un dispositif qui permet d’envoyer une grenade à 100 mètres.
Preuve que les 68 policiers de cette CRS ont fait face à des individus particulièrement tenaces, n’ayant peur de rien.
Du côté des policiers, les dégâts physiques sont considérables. 34 d’entre eux – soit la moitié de l’effectif – ont été sérieusement contusionnés. Cela va d’une douleur aux oreilles à un avant- bras esquinté en passant par une jambe ou une épaule couverte de bleus. Quant aux dégâts matériels, ils se passent de commentaires : boucliers fendus, jambières détruites, visières cassées ou fendues, casques perdus etc…
La CRS n°21 en provenance de Limoges en poste du côté du boulevard Magenta a même eu un de ses policiers mordu à l’oreille. Pour sa part, la CRS n° 44 de Joigny (Yonne) qui se trouvait du côté du Boulevard Beaumarchais avant d’avancer vers la rue du Temple, si elle n’a pas utilisé la force, a interpellé deux personnes rue Sainte- Croix- de- La Bretonnière.
Motif : jet de projectiles et participation à un attroupement non autorisé. Arrestation inutile. Une heure plus tard, les deux personnes étaient libérées sur ordre du commissaire d’arrondissement.
En revanche, du côté du boulevard de La Chapelle, la CRS n°10 du Mans a connu des moments délicats. Vers 16 heures, ses fonctionnaires reçoivent des tas de projectiles parmi lesquels desbarres de fer. « L’agression est violente », note le commandant dans son compte-rendu. Des conteneurs lacrymogènes sont utilisés. Les manifestants sont repoussés.
Moments tout aussi délicats pour la CRS n° 9 de Rennes, qui, stationnée boulevard Rochechouart tente de contenir dès 14 heures 50 une cinquantaine de militants du Nouveau Parti Anticapitaliste ( NPA). Les choses ne se passent pas trop mal. Même si cinq minutes plus tard un individu monte sur un échafaudage, un drapeau palestinien à la main. A 16 heures 50, accès de fièvre : une cinquantaine de manifestants pro-palestiniens débouche de la rue de Clignancourt pour rejoindre le boulevard Rochechouart. Un barrage tente de les dissuader. Insuffisant pour les décourager.
A 17 heures 10, des projectiles commencent à voler. Une minute plus tard, réplique des forces de l’ordre qui utilise une grenade MP7 – la grenade à sept pots explosifs – Interpellation de manifestants. 17 heures 20, situation à nouveau tendue. Et nouvelle utilisation d’une grenade MP 7. Suivie d’une autre à 17 heures 36. D’une autre encore à 17heures 38. D’une quatrième à 17 heures 40. D’une cinquième à 17 heures 43.
Une fois encore, les policiers de la CRS 9 ont trinqué. Douze d’entre eux sont en mauvais état. Une cervicale douloureuse pour l’un, une coupure sur le crâne pour l’autre. Certains souffrent de l’épaule, des genoux ou du tibia. Les esquintés sont du côté des CRS. Quatre individus ont été interpellés, deux pour rébellion, deux pour jet de projectiles sur les forces de l’ordre. L’un d’entre eux, qui ne doute de rien, semble avoir volé le portable d’un policier. Lequel va porter plainte. Cette fois, pas de clémence en vue. En principe ! Quelle journée que ce 19 juillet !
Cette guérilla urbaine dirigée par une horde de casseurs, dont l’unique objectif est de semer la panique par la violence, prend fin vers 20 heures. Avec cette question lancinante chez les forces de l’ordre : la hiérarchie policière – le préfet de police- n’a-t-elle pas pêché par excès d’optimismepensant que la seule interdiction de la manifestation empêcherait tout débordement ? En tout cas, chez les policiers on ne se prive pas de dire que si on avait eu recours aux moyens adéquats – lanceurs d’eau, barre-pont et équipements plus adaptés – , le quartier de Barbès-La Chapelle auraitpu être sécurisé… Et les CRS des 14 compagnies n’auraient pas pris autant de coups.
Source : atlantico.fr