Paris, 12 jan 2015 (AFP) – Au lendemain d’une mobilisation historique contre le terrorisme islamiste, la France s’est réveillée lundi confrontée à un défi immense: faire durer l’union sacrée affichée dans la rue et renforcer la sécurité face à une menace plus présente que jamais.
Après que 3,7 millions de Français sont descendus dans la rue dimanche, de premières mesures ont été annoncées dès lundi matin par l’exécutif, pour comprendre l’enchaînement qui a fait 17 morts, abattus par des jihadistes revendiqués, et empêcher de nouvelles attaques.
Dès 09H00, une première « réunion ministérielle sur la sécurité intérieure » s’est ouverte à l’Elysée, après cinq réunions de crise au plus fort des attaques contre Charlie Hebdo qui a fait 12 morts, puis contre une policière municipale et une supérette casher (4 morts).
Les 717 écoles et lieux de culte juifs en France seront protégés dès aujourd’hui, par 4.700 policiers et gendarmes, et des soldats seront envoyés en renfort dans les 48 heures, a annoncé Bernard Cazeneuve, qui a été, comme le duo Hollande-Valls, en première ligne dans la crise.
Le ministre de l’Intérieur a fait ces annonces devant l’école juive Yaguel Yaacov de Montrouge, près de Paris.
C’est près de cet établissement qu’a été tuée une jeune policière jeudi, attaque revendiquée par le jihadiste Amédy Coulibaly, auteur ensuite de la prise d’otages sanglante à l’épicerie casher.
Manuel Valls a dit pour sa part vouloir « améliorer » le système des écoutes Le Premier ministre veut aussi généraliser l’isolement en prison des détenus islamistes radicaux, soupçonnés de faire du prosélytisme.
Amédy Coulibali et Chérif Kouachi, l’un des deus frères auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo étaient passés par la prison avant leurs attaques mortelles.
Le premier, a indiqué M. Valls sur BFMTV et RMC, avait « sans doute un complice » et la traque « se poursuit »
Le plan Vigipirate est « maintenu à son plus haut niveau », a dit le chef de gouvernement. En outre « nous déployons à un niveau jamais atteint le nombre de militaires puisque 8.470 militaires vont être déployés; il y avait à peu près un millier de soldats dans le cadre du plan vigipirate, nous en avons déployé 2.000 supplémentaires, et dans les jours qui viennent nous allons en déployer 6.000 en plus de l’engagement des forces de l’ordre policiers et gendarmes ».
– Trésor fragile de l’unité –
M. Valls pense que le Parlement votera une commission d’enquête sur la semaine sanglante.
Pour sa première intervention à la radio depuis qu’il est président de l’UMP, Nicolas Sarkozy a précisément souhaité sur RTL un travail de « lucidité », de « retour d’expérience » mené en commun par le gouvernement et l’opposition.
Le consensus émotionnel autour des 17 morts devrait se prolonger par un hommage aux Invalides. « Cette semaine sera une semaine de deuil, avec les obsèques dans l’intimité familiale, l’hommage qui sera rendu demain (mardi) aux policiers tombés, dans la cour de préfecture de police de Paris, et l’hommage aux Invalides à toutes les victimes autour du président de la République, qui a symbolisé ce rassemblement de tous les Français », a noté le Premier ministre.
Alors que les Etats-Unis ont paru le grand absent dimanche à Paris où une bonne cinquantaine de hauts dirigeants du monde entier se pressaient au côté du président François Hollande, le secrétaire d’Etat américain John kerry a annoncé qu’il serait vendredi à Paris pour des entretiens. Il s’agit, a-t-il
dit, de « montrer le lien existant entre les Etats-Unis et notre plus ancien allié ».
Autre coup de chapeau américain: la cérémonie des Golden Globes, à Hollywood, marquée par de vibrants hommages aux victimes des attentats en France. A l’image d’un George Clooney proclamant: « Nous ne marcherons pas dans la peur. Nous ne le ferons pas… Alors, +je suis Charlie+ ».
Chez les politiques qui ont pris la parole lundi matin, on sentait la
volonté de préserver le trésor fragile de l’unité qui a fait du 11 janvier un jour historique.
La maire de Paris, Anne Hidalgo (PS), a appelé la classe politique à la dignité. « La méthode doit être différente: plutôt que d’être d’entrée de jeu dans des postures politiciennes, partir du constat objectif de la situation » et se retrouver « entre républicains ».
Elle a néanmoins reconnu que la « politique politicienne, sans aucun doute reprendra ses droits et reviendra au galop ».
Il ne faut exclure personne, a répondu pour sa part M. Sarkozy, interrogé sur l’association ou non du FN à ces réflexions.
Ce qui n’a pas empêché Marine Le Pen de juger sur iTELE que sa propositon de commission commune n’était pas une réponse à la hauteur.
Elle-même, après avoir défilé dans la ville frontiste de Beaucaire (Gard), prône des « décisions urgentes » notamment en matière « de maîtrise de nos frontières ».
La question du « jour d’après » de la plus grande mobilisation jamais
enregistrée en France hantait les esprits dès dimanche dans les cortèges (3,7 millions dans toute la France, un record).
« Il faut que l’esprit de ce 11 janvier reste », avait plaidé dimanche soir Manuel Valls, alors que l’opinion a salué à 97% l’appel à l’union nationale, selon un sondage.
« Les réponses concrètes et pratiques (par exemple au problème de la contagion terroriste dans les prisons, ndlr), on ne les trouvera pas dans la guerre politique d’un camp contre l’autre », avait noté dimanche soir sur BFMTV François Bayrou.
« Le quotidien risque d’éroder », redoutait dimanche l’ex-ministre UMP
David Douillet.
« La France doit passer de l’émotion et la compassion à l’action. La
responsabilité du gouvernement est de protéger les Français contre la guerre qui nous est déclarée par le jihadisme », estimait un autre député UMP, Pierre Lellouche.
« Est-ce que la politique internationale que nous menons est la bonne politique ? Est-ce que tous les moyens sont mis en oeuvre pour pouvoir lutter contre le fléau du terrorisme islamiste ? », s’était d’emblée interrogé la présidente du FN, qui à nouveau pointé du doigt le Qatar lundi.
Comme en réponse, M. Sarkozy s’est fait l’avocat insistant de ce pays « ami de la France » mais qui est accusé de financer le terrorisme.
La cote de popularité de François Hollande, très basse malgré une embellie récente, va-t-elle remonter – durablement – alors que le chef de l’Etat a incarné l’union nationale depuis mercredi ?
L’historien socialiste Alain Bergounioux estime que le chef de l’Etat a été « à la hauteur de sa mission », mais prévient: « Même lorsqu’on a joué un rôle historique important, cela ne garantit pas la suite. Un an et demi après mai 1945, de Gaulle démissionnait… ».