Certaines musulmanes voilées par choix réclament le droit de porter le voile en tout lieu et en toute situation et ce au nom du féminisme.
Selon elles, étant donné que le mouvement féministe encourage les femmes à vivre en fonction de leurs choix et qu’elles-mêmes font celui de se voiler, sans y être contraintes par la loi, leur famille ou leur mari, elles sont féministes. Suivant le même raisonnement, des féministes non-musulmanes les soutiennent.
Le mouvement féministe s’est effectivement toujours battu pour que les femmes puissent faire leurs propres choix sans avoir à se conformer à un idéal défini par la religion, la tradition, la culture ou la mode.
Cependant, il ne suffit pas de clamer «C’est mon choix» avant de poser un geste pour en faire automatiquement un choix féministe.
Traditionnellement, le féminisme s’oppose à la discrimination basée sur le sexe. Or le voile est discriminatoire puisqu’il est exclusivement réservé aux femmes qui, dans la culture musulmane, doivent se conformer à des critères de pudeur et de conduite différents et plus sévères que ceux des hommes.
Le voile: un marqueur social
Il y a 14 siècles, le voile indiquait le statut social et était réservé aux femmes libres. Le verset 59 de la sourate 33 du Coran qui demande aux musulmanes de ramener sur elles leur voile afin d’être reconnues (en tant que musulmanes) et ne soient pas «offensées» a été révélé durant une période où des musulmanes se faisaient violer et réduire à l’esclavage et dont les assaillants se justifiaient en disant ne pas pouvoir distinguer les musulmanes des esclaves. Une religion qui respecte la dignité des femmes aurait interdit toute violence à leur égard au lieu de créer deux catégories de femmes, celles qui ont droit au respect et celles que l’on peut impunément violenter et exploiter.
Devenu l’un des principaux symboles de l’islam, le voile ne peut être dissocié de la vision des femmes qu’il véhicule. L’islam relègue les femmes derrière les hommes durant la prière, ne leur accorde pas les mêmes droits en matière d’héritage et de divorce, n’accorde pas à leur parole la même valeur qu’à celle d’un homme et leur interdit de voyager plus de trois jours sans un mahram, c’est à dire un homme qu’elles ne peuvent pas épouser (père, grand-père, oncle, frère, frère de lait, fils ou neveu).
De plus, l’islam permet chez ses adeptes de sexe masculin le mariage avec des fillettes impubères, la polygamie, la violence conjugale, l’usage sexuel de leurs esclaves et le viol de guerre. Comment le choix d’arborer le symbole d’une religion dont l’idéologie entre en contradiction aussi flagrante avec les valeurs féministes pourrait-il être qualifié de féministe?
Un choix individuel qui a des répercussions collectives
Pour être féministe, un choix ne doit pas seulement refléter la volonté de celle qui le fait, il doit aussi bénéficier aux femmes en général ou à tout le moins ne pas leur nuire. Or le voile musulman a des conséquences à long terme plutôt néfastes sur les femmes. Plus il se banalise et se généralise au sein d’une société ou d’un quartier, plus il mène à une redéfinition de la pudeur féminine en faveur des musulmanes puisque ce sont elles qui se couvrent le plus.
Graduellement, la femme non-voilée devient une anomalie visuelle et subit de plus en plus de pression pour se conformer à la norme vestimentaire musulmane. Ces pressions peuvent aller du simple regard méprisant aux insultes, au harcèlement, aux menaces, à l’agression physique, au viol et, ultimement, au meurtre. Les intimidateurs et les agresseurs sont déresponsabilisés et leurs victimes blâmées pour les avoir «provoqués».
Le voile musulman ne vient jamais seul, puisqu’il s’accompagne systématiquement de vêtements couvrant la majeure partie du corps et parfois suffisamment amples pour en camoufler la silhouette. Les musulmanes voilées s’imposent de nombreuses contraintes pour s’assurer de jamais avoir à dévoiler leurs cheveux, leurs bras ou leurs jambes. Elles supportent la chaleur la plus intense et l’humidité la plus accablante et renoncent à plusieurs métiers, sports, formes de danse, et activités avec leurs enfants plutôt que d’accepter d’alléger leur tenue, ne serait-ce que quelques heures par jour ou même par semaine.
Ces femmes participent également à une redéfinition des normes comportementales féminines. La «mauvaise» femme n’est plus seulement celle qui montre ses cheveux, ses bras ou ses jambes, c’est aussi celle qui choisit le confort sans se soucier du qu’en-dira-t-on, celle qui fait du sport en public, celle qui danse, celle qui serre la main aux hommes, bref celle qui prend sa place dans l’espace public, comme un homme le ferait à sa place, sans se poser de question.
Ce phénomène peut se répéter à un niveau supérieur. Ainsi, dans une société musulmane où un voile comme le hijab va de soi, la banalisation du voile intégral peut faire basculer à long terme les femmes en hijab dans le camp des «mauvaises» femmes. Dans les régions d’Irak et de Syrie contrôlées par l’EI, les femmes sont désormais obligées de porter un voile intégral noir de même qu’une robe épaisse de même «couleur» conçue par l’organisation. Les récalcitrantes s’exposent à être arrêtées par «Hisbah», la police religieuse de l’EI, et battues à coup de bâton.
Féminisme à deux vitesses
Il est consternant qu’autant de féministes occidentales soient incapables de voir que le féminisme est instrumentalisé par des musulmanes qui le ramènent à un simple combat pour le droit de se transformer en panneau-réclame pour une idéologie sexiste.
Certaines féministes (j’ai peine à leur donner ce titre) vont jusqu’à soutenir leur droit de porter le voile intégral. Cette tolérance cache très mal une tendance plus ou moins consciente à infantiliser les femmes musulmanes et à avoir envers elles des attentes moins élevées en matière d’intégration. Comme si la religion musulmane leur enlevait toute responsabilité face à des choix qu’elles n’auraient pas à assumer et que le mieux que l’on puisse espérer d’elles est qu’elles choisissent elles-mêmes leurs entraves.
Bien sûr, une musulmane voilée peut s’impliquer très sincèrement dans la cause féministe, elle peut militer pour l’accès des filles à l’instruction, la contraception ou le divorce ou encore dénoncer le mariage forcé, les mutilations sexuelles et la lapidation mais ça ne changera rien au fait que sa décision de porter le voile, quelles qu’en soient les raisons, ne pourra jamais être un choix féministe.
MINONA