Berlin, 17 avr 2015 (AFP) – Il n’a pas caché son adhésion fervente au nazisme, a spontanément décrit son quotidien à Auschwitz et se débat depuis avec sa conscience: rattrapé par la justice allemande qui doit le juger à partir de mardi, Oskar Gröning, 93 ans, promet de s’expliquer.
« Je n’ai jamais trouvé la paix intérieure », soufflait fin 2014 le vieil homme au quotidien Hannoverische Zeitung, quelques mois avant l’ouverture ce mardi à Lunebourg (nord) de son procès pour « complicité de 300.000 meurtres aggravés ».
Désormais veuf et diminué, il garde un point commun avec le jeune militaire au visage triste barré de fines lunettes photographié pendant la Seconde guerre mondiale: son groupe sanguin, O, tatoué sur le bras gauche, comme tous les soldats SS.
A la différence de nombre d’anciens nazis, Oskar Gröning n’a dissimulé ni son engagement dans les Waffen SS en 1941, attiré à 20 ans par « l’élégance de
l’uniforme », ni l’application qu’il mettait à son travail de comptable à Auschwitz entre 1942 et 1944.
« Son histoire, une histoire allemande, est une histoire de séduction et de
fanatisme, de criminels et de leurs complices, de ce qu’est vivre en se
sentant coupable », écrivait en 2005 l’hebdomadaire Der Spiegel, auquel
l’ancien soldat avait accordé deux jours d’entretien.
– ‘Toutes les devises du monde’ –
Elle commence sur les cendres de la Première guerre mondiale, avec la
naissance de Gröning en 1921 près de Brême (nord) dans une famille
nationaliste hantée par la défaite. Orphelin de mère à 4 ans, il grandit avec
son père, ouvrier membre du groupe paramilitaire Der Stahlhelm.
Intégré à l’organisation de jeunesse du Stahlhelm, il baigne dans une
ambiance belliqueuse et antisémite et sidère en 2005 son interlocuteur du
Spiegel en fredonnant, perdu dans ses souvenirs: « Et lorsque le sang juif
coulera de nos couteaux, tout sera bon à nouveau ».
« A l’époque, nous ne réfléchissions même pas à ce que nous chantions »,
s’était repris le vieil homme, grand et « d’allure puissante », dos droit et
abondante chevelure blanche.
Plus porté sur les chiffres que sur les armes, Gröning rejoint un poste
administratif dès son entrée chez les SS, avant d’être affecté en 1942 à
Auschwitz, en Pologne occupée, pour collecter les billets de banque des
déportés et les envoyer à Berlin.
« J’ai vu pratiquement toutes les devises du monde », résume l’ex-nazi,
occupé à trier les zlotys des drachmes, florins et lires, pendant que plus
d’1,1 million de leurs propriétaires mouraient dans les chambres à gaz, par
arme à feu, de malnutrition ou de mauvais traitements.
A l’époque, le jeune soldat adhère au principe de l’extermination, « un
outil pour mener la guerre avec des méthodes avancées ». Mais lorsqu’il voit un
soldat tuer un bébé en le lançant contre la paroi d’un wagon, tout juste
arrivé, il demande immédiatement son transfert au front.
– ‘Je suis innocent’ –
Sa requête est rejetée, comme deux demandes ultérieures, et le comptable
finit par s’accommoder de son existence au camp. L’ordinaire est meilleur
qu’au front, les soldats jouent aux cartes et boivent beaucoup, éteignant les
lumières à coups de feu lorsqu’ils sont ivres.
Revenu après guerre dans sa région natale, Gröning se marie, a deux fils et
travaille dans une verrerie. Mais à la retraite, son passé le rattrape en
1985, lorsqu’un membre de son club de philatélie lui confie un ouvrage
négationniste, déplorant l’interdiction de contester la Shoah.
La démarche insupporte l’ancien soldat, qui retourne le livre avec un court
commentaire – « J’étais là, tout est vrai » -, se lance dans l’écriture d’un
mémoire de 87 pages pour ses proches puis témoigne en 2003 dans un
documentaire de la BBC et dans la presse allemande.
« Je décrirais mon rôle comme celui d’un petit rouage. Si vous qualifiez ça
de culpabilité, alors je suis coupable. Mais juridiquement parlant, je suis
innocent », martèle Gröning d’interview en interview, demandant pardon aux
victimes de la Shoah tout en rejetant toute responsabilité pénale.
Mais le vieil homme n’a jamais invoqué son état de santé pour échapper à la
justice et ouvrait encore sa porte au quotidien Die Welt, à la veille du
procès. « Allez-vous parler ? », lui demandait le journaliste.
« Si je suis encore en vie, oui », répondait Gröning.