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Nous sommes un… sauf pour la gauche bien sûr

Si la guerre a relancé la solidarité israélienne, elle est aussi une menace pour la liberté d’expression

Quelques heures avant le rassemblement de samedi soir appelant les deux parties à mettre fin à la guerre, beaucoup de statuts sur Facebook donnaient des instructions inhabituelles à des amis virtuels. On pouvait ainsi lire : « Ne portez pas de tee-shirt avec des slogans politiques ou alors apportez un tee-shirt de rechange pour quand vous quitterez la manifestation », « Sur la base de l’expérience de la semaine dernière, (un manifestant avait été frappé par des extrémistes de droite qui l’ont suivi jusqu’à son domicile), soyez très prudent lorsque vous quittez la zone protégée par la police ».

D’autres ont ouvertement avoué qu’ils avaient trop peur de venir. Cela n’était jamais arrivé en Israël auparavant. La peur règne.

En cet été 2014, alors qu’Israël est engagé dans une guerre acharnée contre une organisation terroriste impitoyable, un autre type de terrorisme domestique se développe : des agressions organisées par l’extrême droite contre tous ceux qui sont sur la « liste noire » de la gauche, ou qui sont juste légèrement hors du consensus.

Alors que la vraie police des frontières combat la terreur, la nouvelle police « indépendante » des frontières de la liberté d’expression fait des heures supplémentaires pour chasser « l’ennemi de gauche ».

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou doit s’inquiéter. Étiqueté maintenant « de gauche » au sein de son propre cabinet par ses ministres les plus bellicistes, certains commentateurs avancent qu’il pourrait se retrouver sur cette liste noire. Ce fut le cas d’un autre ministre israélien, Itzhak Rabin. La place où la plupart des manifestations se déroulent aujourd’hui, et où il a été assassiné en 1995, porte d’ailleurs son nom.

Curieusement, l’été 2014 est une des meilleurs périodes de la société israélienne, comme il est une des pires. La meilleure car la solidarité et l’unité du pays n’ont jamais été aussi fortes depuis la guerre de 1967 (Six jours), la pire à cause des attaques verbales et physiques à l’encontre de ceux qui sont perçus comme des « dissidents ». Cela peut être n’importe qui. Voici quelques exemples:

Se joignant à la manifestation anti-guerre (pas anti armée) la semaine dernière, Ben Kfir, venu d’Ashkelon, ville sinistrée par les roquettes, a été insulté par des gamins enragés : « nous espérons que tu seras frappé par un missile ». « Je l’ai déjà été quand ma fille a été tuée par un Palestinien en 2003″, a-t-il répondu tristement. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me battre pour la paix ».

Un analyste politique de premier plan, Amnon Abramovich, a été brutalement attaqué par une foule venue manifester devant chaîne israélienne Channel 2. Ils l’ont traité de « traître » et de « terroriste ». Il a été rapidement évacué dans la voiture du chef de la police de Tel Aviv. Ses collègues indignés ont rappelé qu’Abramovich était un héros, décoré après la guerre de Kippour en 1973. Il a été brûlé dans un tank en tentant de sauver ses camarades et a passé deux ans à l’hôpital. Le chef d’état-major lui a ensuite décerné une médaille du mérite.

Un autre journaliste de Haaretz, controversé et ouvertement critique à l’égard de la politique et de la conduite d’Israël, Gideon Levy, ne peut plus se déplacer sans gardes du corps. Une actrice israélienne de premier plan qui a reçu le « Prix Israël », la plus haute distinction décernée par l’État hébreu, Gila Almagor, 75 ans, reste maintenant enfermée dans sa maison, après avoir reçu des menaces de mort. Elle a osé admettre que la mort de l’adolescent palestinien retrouvé brûlé vif, Muhammad Khdeir, lui a fait sentir « la honte d’être israélienne ». D’autres acteurs israéliens, connus et adulés, et des personnalités publiques subissent un « cyber lynchage ». D’autres sont agressés. La peur règne.

Trop nombreux sont ceux qui avouent choisir de se taire. Tout cela se passe alors que des soldats « de gauche » se battent aux côtés de soldats « de droite » et que des parents « de gauche » dans tout le pays enterrent leurs fils tombés aux côtés de leurs compagnons de lutte « de droite ».

Contrairement à ce qui peut se dire en Israël, les terroristes du Hamas ne font pas de distinction entre la gauche et la droite.

Les experts estiment qu’entre 50 à 60.000 internautes sont engagés dans une campagne vicieuse et anti-démocratique sur Facebook. L’un des leaders de ce mouvement violent est un rappeur israélien de 37 ans, Yoav Eliassi, plus connu sous le nom de « Tzel » (l’ombre). Il a été le premier à mobiliser un groupe violent, simplement en postant des messages sur ​​Facebook. Il a même donné un surnom à ses adeptes : « Mes lions ».

Eliassi a prétendu à plusieurs reprises être contre la violence. Pourtant sur Facebook, il a publié un statut pour ​​remercier d’autres mouvements qui ont suivi son action « contre le véritable ennemi de l’intérieur : la gauche radicale », se félicitant que des mouvements comme Kahana et « le gang Al-Yahud soient vivants. L’idée que la gauche israélienne est une bande de traîtres n’est pas nouvelle en Israël. Aussi bien l’extraordinaire manifestation de solidarité et d’unité du pays que la persécution de la gauche ont commencé avant la guerre à Gaza.

Le comportement incroyablement digne des trois familles des adolescents enlevés et tués brutalement en Cisjordanie (Frenkel, Shaer et Yifrah), a été un moment de grâce dans une société déchirée.

Cette atmosphère a prévalu et s’est maintenant répercutée sur l’incroyable esprit de solidarité. La douleur collective rompt comme un matériau unificateur. Dans le même temps, la délégitimisation de la gauche s’est profondément enracinée au fil des ans. Bien souvent, le ton est donné par ces mêmes gens qui sont censés protéger la fragile démocratie israélienne. Des ministres et des membres de la Knesset qui considèrent les organisations des droits de l’Homme (associées à la gauche) sont dangereuses et portent atteinte à la sécurité et l’image d’Israël; des politiciens qui attaquent ouvertement les journalistes et les médias, les décrivant comme des antisionistes ou agissant contre l’intérêt de l’État.

Et, bien sûr, il y a la contribution de ceux qui choisissent de restreindre la liberté d’expression des citoyens arabes israéliens, pensant naïvement qu’elle s’arrêtera là. Les citoyens arabes sont maintenant terrorisés et intimidés, mais pas seulement eux. Cela ne s’arrête jamais quand un seul veut que ça s’arrête. Ça déborde, et c’est désormais hors de contrôle.

La plus grande crainte est que, bien que cette guerre soit sans doute sur le point de se terminer, ces phénomènes pourraient perdurer.

Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, « Le million qui a changé le Moyen-Orient » sur l’immigration d’ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.

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