Je vous écris au lendemain du 14 juillet pour briser le silence, celui qui délétère et ténu sévit depuis avant-hier soir, ou plutôt depuis des mois.
Je brise mon propre silence en vous écrivant car « heureu(se) comme un juif en France », pourquoi aurais-je besoin de m’exprimer ?
Hier, après une manifestation parisienne de soutien au peuple palestinien, des assoiffés de haine se sont lancés à l’assaut de deux synagogues, mais aussi de la populace. Aux cris barbares de « morts aux juifs », ils ont brisé des vitrines, poursuivis des badauds, lancé et balancé tout ce qui était à leur portée.
Ils se sont déployés de Bastille à Saint Paul, là où ils pensaient pouvoir « casser du juif » afin d’étancher leur soif de violence.
Aller à l’affrontement au nom de quoi ?
Aucune cause ne légitime cette fureur en France, aucune. Quelqu’un avait-il essayé d’attenter aux jours de ces jeunes ? Personne, personne… Qu’on ne me parle ni du conflit israélo-palestinien, ni de sionisme, ni de roquette, ni de…
Car mes chers concitoyens, je vous écris de France, de Paris, en 2014.
Je vous écris, car je ne vous entends pas et ce n’est pas la première fois qu’une telle déferlante antisémite se produit. Je vous écris car je ne peux plus me taire et tenter de relativiser. Vous qui étiez aux terrasses des cafés rue de la Roquette hier, vous qui étiez dans le marais, vous qui lisez les journaux, vous qui avez été témoins, vous qui savez, j’ai besoin de vous entendre !
Pourquoi ne réagit-on plus lorsque l’on entend « mort aux juifs » aujourd’hui en France ? Je vous parle d’humains, je vous parle de vous et moi ! Je vous parle de nos enfants, de nous ! C’est le seul effet que cela vous fait l’incitation à la haine raciale et au crime ?
Monsieur le grand rabbin de France, j’attends un mot de votre part, vous qui êtes sensés nous représenter !
Mesdames et messieurs les intellectuels aux plumes éclairées, j’attends vos mots pour m’apaiser. Pourquoi tardez-vous tant ?
Je n’ai pas peur, mais j’ai mal. Je suis juive, je suis française et rien, je dis bien rien ne légitime un tel appel au crime ici. Rien ne légitime notre passivité et la banalisation que nous faisons de tels actes.
J’ai toujours manifesté pour nos droits, pour l’égalité, pour la démocratie, pour les roms, les sans papiers, les homosexuels… Je me suis toujours soulevée face au racisme et à la barbarie. Je croyais en la France, mon pays, celui qui a accueilli mes parents qui ont eux même du quitter leur pays. Je me suis toujours battue, mais vous quand allez-vous vous battre pour moi ?
Pour qu’en tant que juive je puisse vivre dans mon pays comme vous ? Quand allez-vous vous élever face au venin antisémite qui se propage sans vergogne ? Quand ? Parlez-moi ! Dites-moi que vous êtes indignés et que je peux sortir sans me sentir menacée ? Rassurez-moi car je n’y crois guère plus… Je ne passerai pas en revue toutes les affaires antisémites de cette année, car elles sont notoires pour nous tous qui lisons la presse.
Mais sans le nommer, pourquoi dois-je encore convaincre tant de personnes qu’un humoriste qui appelle à la haine, à la détestation et à la « phobie » de tous ceux qui sont « autres » que lui, est un manipulateur patenté et dangereux, qui fait du rire une arme propagandiste folle et n’use en rien de sa liberté d’expression ! Car ma liberté s’arrête là où commence celle des autres.
Dites moi que nous n’avons pas encore perdu toutes nos valeurs et que je m’adresse encore à mes concitoyens ? Ceux avec qui j’ai été à l’école publique, au collège, au lycée, à l’université, ceux avec qui j’ai étudié la philosophie, les sciences politiques et les droits de l’homme ? Dites-moi que c’est bien ensemble que nous nous sommes indignés jusqu’ici ?
J’ai besoin de vous aujourd’hui. J’ai besoin d’entendre vos voix se soulever face à la haine.
Mes chers concitoyens je vous souhaite un beau 14 Juillet 2014 en France.
Chantez, criez, dansez mais n’oubliez pas les valeurs de notre pays, celles qui nous permettent de pouvoir vivre ensemble.
Miléna Kartowski-Aïach