Cinq jours après l’attentat qui a tué 32 personnes dans le sud du pays, Ankara s’engage désormais dans une guerre totale contre l’organisation terroriste.
Longtemps accusée de fermer les yeux sur les agissements de l’État islamique sur son sol (de nombreux Européens passent par la frontière turque pour rejoindre laSyrie), Ankara a frappé un grand coup vendredi matin. À l’aube, la police turque a mené une opération d’envergure dans treize provinces du pays pour démanteler le réseau djihadiste. À Istanbul, pas moins de 5 000 policiers et plusieurs hélicoptères ont été déployés sur le terrain. Ce sont en tout 251 personnes qui ont été interpellées, selon l’exécutif turc.
Le pays est en proie à de vives tensions après qu’un attentat-suicide a frappé la ville frontalière de Suruç, dans le sud du pays. L’attaque, qui a fait 32 morts et une centaine de blessés, serait l’œuvre de Seyh Abdurrahman Alagöz, jeune Turc de 20 ans qui aurait rejoint les rangs de l’État islamique après un séjour de six mois en Syrie. C’est la première fois qu’une attaque de cette ampleur était commise sur le territoire turc. Bien déterminée à combattre la menace djihadiste à sa frontière, Ankara ne s’est pas contentée des opérations sur son sol, elle a également bombardé des positions djihadistes en Syrie.
Bombardements aériens
Trois avions de chasse F-16 ont ainsi décollé de la base de Diyarbakir et ont lâché leurs missiles sur « deux bases et un point de rassemblement » de l’EI, annonce le gouvernement turc. Selon un bilan provisoire, ces attaques auraient fait 35 morts chez les djihadistes. Jeudi, déjà, en début d’après-midi, une dizaine de membres de l’EI avaient tenté de franchir illégalement la frontière près de Kilis et avaient ouvert le feu sur un poste avancé de l’armée turque, tuant un soldat et blessant deux autres militaires. La Turquie avait immédiatement riposté par des tirs d’artillerie et les bombardements aériens de plusieurs positions du groupe terroriste. Des opérations qui sont amenées à durer dans le temps, selon le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
Autant d’initiatives rassurantes pour les Européens, de plus en plus inquiets de la porosité des frontières turques. Mercredi, à la suite d’un conseil des ministres extraordinaire, le gouvernement turc avait déjà annoncé qu’il voulait renforcer drastiquement la sécurité des 900 kilomètres de sa frontière commune avec la Syrie,selon le site d’information Hürriyet Daily News. Une frontière capitale pour les groupes djihadistes puisque c’est par là que transitent les armes et les nouveaux combattants de l’EI, notamment français. L’exécutif turc a été régulièrement accusé d’avoir fermé les yeux sur ces transits de combattants qui partent combattre en Syrie les deux bêtes noires d’Ankara : le régime de Bachar el-Assad et les forces kurdes du PYD.
Le PKK plus dangereux que l’EI ?
Le projet gouvernemental, dont le budget total s’élève à 1,5 milliard d’euros, prévoit notamment le renforcement des points sensibles de la frontière en érigeant 150 nouveaux kilomètres de mur ultra-sécurisé (miradors, caméras thermiques, capteurs de mouvement, etc.). Et pour venir appuyer les dizaines de milliers de soldats turcs, déjà envoyés sur place, Ankara souhaite se doter prochainement de ballons dirigeables de surveillance en complément de ses drones. À la suite d’un échange téléphonique entre le président des États-Unis Barack Obama et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a également annoncé l’ouverture de ses bases aériennes (dont celle d’Incirlik) aux avions de la coalition anti-EI pour intensifier les frappes contre les positions djihadistes en Syrie et en Irak. Une décision saluée par les alliés de la Turquie après de longs mois de négociations infructueuses.
Outre la traque des djihadistes, Ankara a profité de l’immense opération pour commanditer l’arrestation de membres de la mouvance d’extrême gauche du DHKP-C (l’une de ses militantes a d’ailleurs été tuée au cours de l’intervention), ainsi que des partisans de l’organisation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), que la Turquie a toujours considérée comme « plus dangereuse » que l’organisation État islamique. À Izmir et à Bursa (ouest du pays), seize personnes suspectées d’appartenir à l’organisation kurde, classée terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, ont été arrêtées. Le gouvernement turc veut afficher sa fermeté à l’égard du PKK, qui a revendiqué mercredi l’assassinat de deux policiers turcs, dans la région frontalière de la Syrie. Deux fonctionnaires que les rebelles kurdes accusaient de collaborer avec les djihadistes de l’État islamique.