Réactualisé par certains prédicateurs salafistes, le phénomène de la hijra gagne du terrain en France, jugée par certains musulmans rigoristes comme un territoire hostile à l’islam.
«C’est pour cela que ce magazine se nomme Dâr-al-Islâm, pour ce (sic) rappeler cet immense bienfait qu’est celui de vivre sous la loi d’Allâh, au milieu des croyants.
Et pour rappeler à ceux qui n’ont pas accompli l’obligation d’émigrer de la terre de mécréance et de guerre vers celle de l’islâm qu’ils sont en immense danger dans ce monde et dans l’autre.»: on pouvait lire ces lignes dans le premier numéro du magazine de l’État islamique en français.
Le message de ces 15 pages de propagande distribuées en pdf sur le net est simple: appeler les Français musulmans à faire leur hijra, c’est-à-dire à émigrer en terre d’Islam. La dernière chanson de Daesh en Français propage le même message: «tends ta main pour l’allégeance, et émigre vers la terre», peut on entendre dans cet hymne à l’hijra. De son côté Omar Omsen, propagandiste du cyberdjihad et principal recruteur de djihadistes français pour al-Qaida, appelle à longueur de vidéos les jeunes musulmans de France à faire leur hijra car, selon lui, «il n’est pas bon de vivre parmi les infidèles».
Dans l’islam, le monde est divisé en deux catégories: la terre de guerre ou de mécréance «Dar-al-Harb» et la terre de paix dâr-al-islam: la hijra consiste à quitter la première pour gagner la seconde.
L’Hégire (hijra en arabe) désigne à l’origine l’exil des compagnons de Mahomet de La Mecque vers Médine. Mais aujourd’hui le mot a pris une autre acception: «faire sa hijra», c’est un peu comme faire son alya pour les Juifs, c’est déménager en terres musulmanes pour pratiquer un «islam sain». Devenu le principal outil de propagande des djihadistes, la hijra peut être aussi pratiquée sur un mode plus pacifique.
De nombreux sites internet proposent d’organiser la «hijra» pour les «mouhajir» français désireux d’émigrer. Parmi les destinations proposées, on ne trouve pas l’État-islamique, mais plutôt l’Algérie, le Maroc, ou encore l’Arabie saoudite, le Koweit et la Malaisie. Le site la-hijra.com donne des conseils aux musulmans désireux de partir. On y trouve en pdf un guide détaillé expliquant le budget à prévoir. Des conseillers spécialisés par Skype (un pour les hommes, un autre pour les femmes) sont disponibles et se chargent de recueillir la «zakat» (aumône, troisième pilier de l’islam) auprès de l’oumma(communauté musulmane) pour financer le voyage des candidats à la hijra.
Est-ce obligatoire dans l’islam?
Pour le sociologue de l’islam Samir Amghar, la réactualisation de la hijra doit s’inscrire dans un débat plus large: celui de savoir si un musulman peut vivre ou non en terre non musulmane (terre où s’applique la loi islamique – charia). Au Moyen-âge, la question ne se pose même pas: il est impossible à un musulman de vivre en terre non musulmane. Mais les théologiens contemporains de l’islam ont été confrontés à un nouveau problème: celui de l’immigration, qui était d’abord temporaire (ainsi, les immigrés de confession musulmane venus en France ne pratiquaient pas le Ramadan, facultatif lorsqu’on est en voyage), mais qui s’est ensuite sédentarisée. Ils ont dû donc déterminer si la France faisait partie ou non du Dâr-al-islam, et si un «bon» musulman pouvait y vivre.
Le blogueur salafiste Fateh Kimouche, plus connu sous le nom d’Al kanz, suivi par des dizaines de milliers de personnes sur twitter, a appelé publiquement les musulmans à faire leur hijra sur son compte twitter, pour fuir le «climat d’islamophobie» en France.
« Je crains moins la montée de l’islamophobie que les méfaits de ces socialistes au pouvoir! Même Sarkozy était moins dangereux. Vite la hijra »
Contacté par Le Figaro.fr, il explique: «La jurisprudence en matière de hijra est diverse: certains savants considèrent qu’il est obligatoire pour un musulman de ne pas vivre en terres non musulmanes et que par conséquent la hijra s’impose à chacun ; d’autres pensent que l’on peut vivre en terres non musulmanes dès lors que l’on peut pratiquer librement (on peut prier, on peut jeûner, etc.)». «Aujourd’hui la dichotomie terres musulmanes et terres non musulmanes est moins tranchée.» assure le blogueur.
D’après Samir Amghar, «Des théologiens salafistes, d’Arabie saoudite, ont réactualisé le phénomène d’une hijra religieuse, en invitant les musulmans occidentaux à quitter les terres occidentales pour venir s’installer dans des pays à majorité musulmane.» .«Ces Fatwas se nourrissent de la crainte d’une assimilation progressive des musulmans qui se trouvent en situation diasporique, partant du principe que l’identité musulmane risque de se diluer, surtout en France, où il est très difficile selon eux de vivre pleinement son islam.» explique l’universitaire au Figaro. La hijra vient se substituer au mythe du retour des primo-migrants. Ainsi qu’au fantasme de la remigration prônée par une certaine extrême droite.
Combien de personnes concernées?
Difficile de le dire, car il n’existe aucun décompte officiel, contrairement à l’Agence juive qui organise les alyas des juifs désireux de retourner en Israël. Pour Samir Amghar l’ «hijra est plus vécue comme un mythe que comme une réalité» et ne concerne que «quelques centaines d’individus chaque année». Pour le blogueur Al Kanz en revanche le phénomène «explose» et ce, d’après lui, à cause de «l’explosion de l’islamophobie» en France. «La nouveauté, c’est que si la volonté de faire hijra était la marque des plus religieux des plus pratiquants, cette caractéristique n’est plus vraie aujourd’hui», ajoute-t-il.
Les pays privilégiés sont le Qatar, les pays du Magrheb (en particulier l’Algérie), mais aussi l’Arabie saoudite et la Malaisie. Avant le printemps arabe, l’Egypte était aussi une destination privilégiée: on y trouvait alors près de 10% de salafistes parmi les Français expatriés (soit 500 sur les 5000 Français installés là-bas).
Une «hijra» dans les campagnes françaises?
Ceux qui n’ont pas les moyens d’émigrer dans ces pays étrangers se tournent parfois vers les campagnes françaises. Une sorte de «hijra de l’intérieur». Les villages sont jugés moins impurs que les villes, car on peut y vivre un islam rigoriste sans se voir flanquer un PV à chaque coin de rue pour port de la burqa.
«Nous savons bien que le mieux c’est une hijra en terre musulmane, nous avons essayé et nous avons du rentrer pour différentes raisons, en premier lieu visa… Bref donc en attendant, quitte à devoir rester en France, au lieu de rester à bosser pour des koufars [NDLR: mécréants] en ville, faire des aller retour canapé, lidl, mosquée, manger de la viande dont tu n’est même pas certain à 100%, autant s’organiser…» explique une internaute sur un forum musulman. «Ce n’est rien de moins que ce qu’on déjà fait certains écolo-marginaux avec les écovillages, mais version muslim!» ajoute-t-elle.
Europe israel
Un phénomène suffisamment important pour que les services de renseignements, s’inquiètent, dans une note, d’une «hijra dans les campagnes» concernant plusieurs villages français.