A l’occasion d’un film diffusé mercredi à la
télévision, l’Allemagne redécouvre Kurt Landauer, premier président juif du
Bayern Munich, déporté par les nazis, une figure longtemps occultée par l’un
des plus grands clubs de football d’Europe.
Embarras face au passé nazi et craintes de réactions antisémites avaient
empêché le Bayern jusqu’à récemment d’honorer la mémoire de celui que les
médias allemands présentent comme le véritable fondateur du club.
Le 3 octobre 2009, dans le virage du sud de l’Allianz Arena, une
gigantesque banderole se déploie: « Le FC Bayern était sa vie – rien ni
personne ne peut changer ça »: Schickeria, un groupe de supporteurs du club le
plus titré d’Allemagne rendait hommage à Kurt Landauer (1884-1961).
Fils de marchands juifs, l’homme a d’abord été joueur du Bayern avant de le
diriger à quatre reprises: de 1913 à 1914, de 1919 à 1921, de 1922 à 1933 puis
de 1947 à 1951. C’est notamment sous son règne que le « Rekordmeister » a
décroché le premier de ses 24 titres en championnat (1932).
Après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, il est écarté de la
présidence du club puis déporté à Dachau où il passera plusieurs semaines
avant d’être libéré grâce à ses états de service pendant la Première guerre
mondiale. Il émigre en Suisse en 1939, ce qui lui permet de survivre à
l’Holocauste dans lequel périront quatre de ses cinq frères et soeurs.
En juin 1947, il retrouve la Bavière, marquée par les stigmates de la
guerre, remet sur pied le club et pose les bases de l’essor du FC Bayern
Munich, devenu aujourd’hui une des plus belles adresses du football mondial,
tant par son palmarès que par sa puissance financière et marketing.
« Dès son plus jeune âge, mon oncle a été littéralement possédé par le FC
Bayern. C’était tout simplement son club », raconte Uri Siegel, 91 ans, son
neveu, dans le magazine Kicker.
Pourtant, le Bayern est longtemps resté silencieux sur ce président
emblématique. « J’ai été joueur du Bayern Munich de 1974 à 1984, pas une seule
fois, je ne suis tombé sur ce nom », a déclaré Karl-Heinz Rummenigge,
aujourd’hui président du FCB, à la radio bavaroise.
« Le sujet était ignoré », a affirmé à l’AFP l’historien Dieter
Schulze-Marmeling, évoquant « des craintes de réactions antisémites ». Il est
l’un des premiers à évoquer ce destin dans son livre « Le FC Bayern et ses
Juifs » publié en 2011.
Ce sont les supporteurs qui ont ensuite donné encore plus de visibilité à
cette page refoulée de l’histoire de leur club.
« Ils ont fait entrer le sujet dans le stade et ça, c’était très important »,
analyse M. Schulze-Marmeling. Le groupe Schickeria a été distingué mardi pour
son action en faveur de Landauer par la fédération de foot allemande qui lui a
remis le prix Julius-Hirsch, du nom de cet international allemand et juif,
exclu de son club de Karlsruhe en 1933 et assassiné à Auschwitz dix ans plus
tard.
Pour ces supporteurs, Landauer incarne les valeurs qui marquent encore
l’image du club, notamment son ouverture sur le monde. « Il a forgé l’identité
du FC Bayern dont nous sommes fiers », expliquait l’un des responsables de
Schickeria, Simon Müller, sur le site de la fédération.
Le club lui-même a beaucoup évolué sur le sujet, notamment, selon M.
Schulze-Marmeling, grâce à Rummenigge qui a déclaré en 2011: « le FC Bayern a
un passé juif, un passé très riche, nous en sommes fiers ». Landauer est devenu
à titre posthume président d’honneur, aux côtés de Franz Beckenbauer et de
Wilhelm Neudecker, respectivement capitaine et président du « Grand Bayern » des
années 70.
Le musée du Bayern avait d’ailleurs organisé dimanche une projection en
avant-première du film de l’ARD, « un film contre l’oubli, sur un homme qui a
marqué de manière décisive le FC Bayern ».
Kurt Landauer « a repris la place qu’il méritait dans l’histoire du football
et du Bayern, c’est un très beau résultat », s’est félicité M.
Schulze-Marmeling.
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