Les faits – Après trois jours de discussions avec son homologue Mohammad Jawad Zarif à Montreux, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a informé jeudi les chefs de la diplomatie des monarchies du Golfe de l’avancée des négociations sur le nucléaire iranien tout en tentant de les rassurer. Pour Uzi Rabi, directeur du Centre Moshe Dayan pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Israël ne pourra pas empêcher cet accord et doit se préparer à en gérer les conséquences.
Avec les négociations sur le nucléaire, Israël ne doit-il pas se préparer à vivre avec un Iran doté de la puissance nucléaire ?
Les Etats-Unis et l’Iran se préparent à signer, en juin ou septembre, un mauvais accord même s’il reste des obstacles et des forces qui y sont opposées. Cet accord, qui permettra une détente internationale et la reprise des affaires, ne concernera que les sites nucléaires déclarés par l’Iran et pas ceux dont on suspecte qu’ils servent à un programme militaire comme Parchin. Un Iran relégitimé, à l’économie retrouvée, aura alors un tel niveau de capacité nucléaire civile qu’il pourra, le jour où il le voudra, avoir la bombe atomique. C’est le pari du guide suprême, Ali Khamenei. Israël ne pourra rien faire une fois l’accord conclu et devra s’y soumettre en se préparant à avoir un Iran doté de l’arme nucléaire. Benjamin Netanyahou a critiqué l’accord devant le Congrès pour des raisons de politique intérieure, tout en cherchant à obtenir plus de transparence sur les inspections et plus de restrictions aux activités. Mais il sait bien que l’on se dirige vers la conclusion d’un accord.
Quelles seront les conséquences d’un Iran nucléaire ?
Cela va changer le jeu régional. L’Iran n’utilisera pas son arme pour détruire des populations et n’attaquera pas Israël avec lequel il ne peut soutenir le rapport de force militaire. Mais cela donnera à Téhéran un pouvoir considérable pour que les autres acteurs de la région suivent ses positions dans les enceintes internationales et à l’Opep. Cela permettra aussi à ses alliés en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban d’être plus actifs, sachant qu’ils sont soutenus par une puissance nucléaire.
Barack Obama comprend t-il clairement ces enjeux et la politique iranienne ?
La France a plus d’expérience des affaires du Moyen-Orient et se montre prudente. Obama est « persuadé », quant à lui, que s’il conclut un deal, l’Iran deviendra un acteur plus modéré et sera un partenaire pour stabiliser toute la région. Il avait d’ailleurs ouvert la porte à cette coopération lors de son discours du Caire en 2009 et les diplomates iraniens le confortent dans cette idée. Il fait toutefois une erreur car l’Iran a son propre agenda et ne sera son partenaire que si ses intérêts rejoignent ceux des Américains.
Quelle est la stratégie régionale de l’Iran ?
Téhéran tisse patiemment sa toile. L’exportation de la révolution islamique a débuté par la guerre contre l’Irak dès 1980, l’appui à la création du Hezbollah en 1982, l’envoi d’activistes à Bagdad et Bassora en 2003. L’expansion du chiisme se fait au détriment des monarchies sunnites devenues plus faibles et qui basculent dans la paranoïa. La notion d’identité sectaire est devenue centrale au Moyen-Orient au détriment des nationalismes arabes. Les Iraniens ont gagné en influence dans quatre capitales arabes (Damas, Bagdad, Beyrouth, Sanaa), des lieux de pouvoir pour peser sur les destinées de la région.
Avec l’émergence de l’Etat islamique, l’Iran reste-t-il la principale menace contre Israël ?
Assurément. C’est un Etat structuré, intelligent, qui peut utiliser des satellites comme le Hezbollah pour continuer à harceler Israël. Avant, l’Iran était le diable incarné. Avec l’émergence de Daesh et d’Al Nosra, ce n’est plus qu’un petit diable que les Occidentaux regardent comme un partenaire potentiel pour lutter contre ces groupes terroristes. L’Iran en joue qui va tenter de couper les ailes de Daesh sans l’anéantir complètement afin de rester au centre du jeu. Dans la même logique, l’Iran n’a aucun intérêt à ce que la Syrie et l’Irak recouvrent leur intégrité territoriale. Téhéran a déjà des rapports commerciaux avec les Kurdes de Syrie et d’Irak. C’est une situation paradoxale à gérer pour les monarchies arabes. Elles ont cru bien faire en soutenant Daesh contre Bachar el-Assad afin de réduire l’influence iranienne mais se retrouvent in fine avec un monstre qui s’est retourné contre elles. Le Moyen-Orient est en cours de remodelage.
L’affaiblissement de ces Etats arrange t-il Israël ?
Dans un sens car la menace des armées conventionnelles s’est réduite. Mais il y a aussi une multiplicité d’organisations (Al Qaida, Al Nosra, le Hezbollah) pouvant ouvrir de nouveaux fronts sur le plateau du Golan via la Syrie. Elles n’ont pas les moyens de détruire Israël mais de le harceler au quotidien.
Quels sont les alliés d’Israël ?
On a toujours pensé à nos partenaires sur le mode « l’ennemi de notre ennemi peut être notre meilleur ami ». On a aujourd’hui une relation de coopération et des intérêts convergents avec l’Egypte d’Al-Sissi, la Jordanie, les Kurdes et même l’Arabie saoudite et les Emirats.
Propos recueillis à l’issue de la Conférence sur “La stratégie iranienne au Moyen-Orient” organisée à Paris par la Fondation de la recherche stratégique (FRS) et L’Europe Israel Press Association (Eipa France).
Sources:
IsraelValley