Chers lecteurs, autant être francs avec vous, on ne va pas commencer à se mentir
quelques secondes à peine après s’être retrouvés, le titre original de cet édito était « une
rentrée au goût amer ». Mais l’été n’est pas encore éteint, les préparatifs des fêtes et les
sélihots sont lancés et il nous a paru plus positif de miser sur la douceur indécise, plutôt
que le fiel affirmé. Pour rester positif, en quelque sorte. Et espérer que les nations
européennes et surtout la France, sauront trouver, en cette rentrée, les armes
culturelles, sociologiques et politiques pour répondre aux forces de l’obscurantisme qui
menacent de les détruire.
Mais l’optimisme n’a jamais empêché la lucidité et les vacances n’empêchent pas de se
tenir informé. Alors, j’aimerais évoquer avec vous, comme des amis qui se retrouvent,
pour évoquer leur été, ce qui m’a ému, choqué, interpelé… A commencer par cette
initiative, qui m’a profondément déçu et dont le goût amer, décidément, ne passe pas :
Comme vous, j’ai vu, au cours de l’été, passer cette digne tribune des 41 Français de
confession musulmane, qui dans un vibrant plaidoyer, unissaient leurs voix pour
évoquer le terrorisme, le djihadisme, la violence aveugle et l’islam, tel qu’ils le voient.
Belle image, joli geste. Dommage… Pas un mot, pas une ligne, pas un caractère, ne serait-
ce qu’une simple virgule, sur les victimes juives de l’islamo-fascisme. Rien, walou, nada…
Les institutionnels juifs s’en émeuvent, la polémique enfle et certains signataires, Bariza
Khiari, sénatrice PS de Paris en tête, poussent, par voix de presse, des cris d’orfraie pour
dire, « Comment ? Mais pas de ça chez nous, mais pas du tout enfin, qu’allez-vous
imaginer, et c’est un faux débat, une polémique regrettable et c’est mal nous connaître et
tout ça tout ça… » On notera, les airs outragés et les accusations geignardes, victimaires,
en guise de réponse du berger à la bergère : « on nous demande de prendre la parole
pour nous démarquer de l’intégrisme et de son cortège d’horreurs et quand on le fait,
nous voilà encore accusés ! » N’oublions pas, bien sûr, le gros non-dit pensé tellement
fort qu’on l’entendait nous siffler aux oreilles : toujours les mêmes qui ont un truc à dire,
les juifs !
Sauf que voilà… Charlie Hebdo par la voix de son rédacteur en chef, Gérard Biard, et
Philippe Val dans le JDD, répondaient, entre autres, à ces 41 signataires. Non juifs,
journalistes, de gauche, l’un comme l’autre ont souhaité remettre en perspective cet
« oubli » malencontreux qui n’en est hélas pas un : « Quand on est journaliste, on
connaît le processus de l’écriture d’une tribune ou d’un appel, surtout lorsqu’il
aborde un sujet d’une nature aussi sensible que l’islam. Le texte est écrit par une ou
plusieurs personnes, relu, soupesé, discuté, puis approuvé avant d’être soumis à
d’autres signataires. Lesquels, on l’espère, lisent ce qu’ils signent. Puis, avant sa
publication, il est de nouveau relu attentivement par la direction du journal, qui, en
théorie, appuie son contenu. Cela veut dire qu’un nombre significatif de paires
d’yeux ont examiné cet appel sans y déceler quoi que ce soit d’anormal. Et il y a fort à
parier que si les autorités juives n’avaient pas relevé l’« oubli », on trouverait
toujours ce texte irréprochable.
Évitons les qualificatifs désagréables et qui plus est injustes au regard de nombre de
signataires. Mais cela signifie, au mieux, que les juifs, bien que premiers visés, sont
passés dans une sorte d’« angle mort » des victimes du terrorisme islamiste. Comme
si, à force d’attentats les ciblant directement et exclusivement, on avait fini par s’y
habituer, jusqu’à ne plus y prêter attention. Bref, comme s’il était dans la ‘normalité’
qu’on tue des juifs parce que juifs… », écrit, avec une lucidité et un franc-parler
salutaires, Gérard Biard.
Quant à Philippe Val, il ose un sévère "Vous avez vous-mêmes condamné et gâché
votre geste", dans une tribune publiée dans le JDD et intitulée "Réponse d'un Français
non musulman non juif à l'appel des 41". Car comme le notent les deux éditorialistes,
soit c’est un acte manqué, et c’est grave, car cela en dit long de l’antisémitisme latent,
inconscient, qui corrompt la communauté musulmane, même la plus modérée et la plus
éclairée, soit c’est volontaire et c’est tout aussi grave !
Pourquoi revenir sur le sujet ? Parce que je vous l’ai dit, l’arrière-goût est amer, et
j’attends le miel de la nouvelle année avec impatience pour le noyer dans un peu de
douceur et d’espoir. Ce n’est pas aux signataires que j’adresse ici et aujourd’hui ma
critique, mais à nos institutions à commencer par le CRIF nouvelle édition qui, sous la
houlette de son président, Francis Khalifa, a d’abord haussé le ton pour finalement
rencontrer les signataires de la Pétition et enterrer la polémique d’un consensuel
« l’affaire est close ».
Ah bon ? Et pourquoi ? Y a-t- il eu réflexion, mea culpa, republication en version
corrigée ? Non, rien de tout cela… Les signataires maintiennent qu’il s’agit, tout au plus,
d’une formulation vague englobant toutes les victimes du terrorisme à l’origine de la
polémique. Sans admettre que leur formulation n’est pas vague, mais bel et bien
excluante. Quant au CRIF, il maintient, hélas, sa ligne d’action très caractéristique de
l’ancienne direction : pas de remous, pas de vague. Dans ce cas, juste une vaguelette,
mais bon la ficelle était grosse quand même. Manifestement le changement, ce n’est pas
pour maintenant et c’est bien dommage !
Lors de mes vacances, j’ai rencontré un dignitaire communautaire, autrefois membre du
CRIF. Je me suis permis de lui demander pourquoi il n’était pas candidat à la présidence,
pourquoi il n’y avait eu qu’un seul candidat, de fait élu d’office. Sa réponse m’a
consterné : « Hors de question que je postule pour prendre la tête d’une institution en
insuffisance respiratoire, en liquidation, qui frôle le dépôt de bilan ! » Quand on sait que
l’institution en question est une sorte de voix pour la communauté juive française et sa
représentante auprès des instances nationales, on ne cherche pas pourquoi on court à la
catastrophe !
Je dirai juste au CRIF une chose et une seule : pour moi, comme pour 92 % des
personnes interrogées lors d’un récent sondage réalisé au sein de la communauté juive
parisienne, l’affaire n’est pas close, la polémique loin d’être enterrée.
Peut-on obliger les 41 signataires à republier un texte corrigé ? Cela a-t- il un sens
d’ailleurs, un mois ou presque après la première mouture, et sans que cela soit de leur
propre initiative ? Je ne sais pas, et à ce titre, les avis sont partagés.
En revanche, je sais qu’il faut s’interroger d’urgence sur la porosité de la société
française et de sa composante musulmane aux idées et préjugés antisémites. Je n’en
veux pour preuve les milliers de commentaires puant la haine postés sur les réseaux
sociaux à propos des textes de Biard et Val. Et ne pas se contenter de beaux discours et
de palabres dans des réceptions mondaines. L’ère où le CRIF pouvait faire l’essentiel de
son travail en apparaissant lors de soirées enrichies en paillettes et de dîners en
compagnie de personnalités est bel et bien révolue. Il faut cesser d’être dans la
représentation. Et entrer dans l’action !
A bon entendeur…
Am Israël Haï
Alain Sayada