Deux djihadistes incarcérés en Autriche viennent de révéler qu’ils devaient participer aux attentats du 13 novembre. Ils donnent de précieux détails sur la méthode de Daech pour infiltrer ses terroristes en Europe.
C’est un tournant dans l’enquête sur les attentats du 13 novembre. Un rebondissement intervenu discrètement, loin de Paris, dans un bureau de la police régionale de Salzbourg. Deux pseudo-migrants arrêtés en Autriche sous de fausses identités ont avoué qu’ils devaient — pour « le bien de Dieu » — faire partie du commando de Daech.
Les enquêteurs en avaient la conviction, comme nous le révélions le 13 février. Mais jusqu’alors l’Algérien Adel Haddadi et le Pakistanais Muhammad Usman esquivaient les questions. En février, brusque revirement : ils acceptent de raconter les coulisses de l’opération.
Selon nos informations, ce récit, en partie dévoilé par le « Washington Post » récemment, a permis aux enquêteurs de retracer en détail leur itinéraire.
Septembre 2015
Le studio photo à Raqqa
Une source proche du dossier évoque le rôle clé d’un homme se faisant appeler « Abou Ahmad », qui depuis Raqqa, « capitale » syrienne de Daech, joue le rôle de recruteur et d’intendant (lire encadré ci-contre). « Ils [Daech] m’ont dit que je devrais aller en France, pour y accomplir une mission et que je recevrai des instructions là-bas », révèle l’un des suspects arrêtés en Autriche, formé « pendant cinq jours » au maniement d’un kalachnikov dans un camp. Quatre conjurés se retrouvent dans le même appartement : Haddadi, un Algérien ayant rejoint les djihadistes de Daech en février 2015 ; Usman, un Pakistanais qui serait artificier de formation ; et deux Irakiens, futurs kamikazes du Stade de France. En septembre, les djihadistes sont conduits chez un photographe de Raqqa pour se faire tirer le portrait afin d’établir de faux papiers. Abou Ahmad confie à ses recrues un téléphone portable disposant de numéros préenregistrés. Haddadi parle arabe, Usman ourdou (langue du Pakistan). Pour essayer de se comprendre, ils baragouinent quelques mots d’anglais qui se limitent à « how are you ? » Etrange équipage…
1er octobre
Derrière la colline, la Turquie
Le 1er octobre, vers 8 heures, le chauffeur d’un pick-up vient chercher le groupe réuni dans l’appartement de Raqqa. Direction : Alep, la grande ville du Nord-Ouest syrien, pour passer ensuite en Turquie. Le franchissement de la frontière se fait aisément grâce à la complicité de passeurs turcs qui les guident par-delà les collines. Une fois de l’autre côté, un minibus les attend. Là, on leur remet leurs faux passeports, confectionnés à partir d’un lot volé à l’administration syrienne et des photos prises à Raqqa.
Attente à Izmir
Les quatre arrivent au milieu de la nuit à Izmir, la métropole turque donnant sur la mer Egée. Ils partagent une chambre dans un hôtel et cherchent à rejoindre les côtes grecques, point d’entrée dans l’espace Schengen. Mais ici la logistique de Daech montre ses limites. Pour la traversée, les djihadistes sont rançonnés par la mafia locale, déboursant plus de 1 100 $ américains (980 EUR) par personne. Le soir, comme des dizaines de candidats à l’exil, ils sautent dans les taxis mis à leur disposition et gagnent la côte. Vers 4 heures du matin, ils prennent la mer dans un bateau, bientôt secouru par les garde-côtes grecs.
3 octobre
Le « grain de sable » grec
Si les deux Irakiens franchissent les contrôles sans être inquiétés, pour Usman et Haddadi, les choses se compliquent. Selon le « Washington Post », leur couverture est éventée car « Usman, un Pakistanais, ne parle pas bien arabe, ce qui contredit rapidement l’affirmation selon laquelle il est syrien ». Quant à Haddadi, « il ne connaissait pour ainsi dire rien à la ville supposée être celle de sa naissance : Alep, en Syrie ». Les deux hommes sont détenus jusqu’au 28. Mais on les prend pour des réfugiés économiques, et non des terroristes. Ils sont remis en liberté. Usman et Haddadi sollicitent Abou Ahmad, l’organisateur de leur voyage, celui qu’ils appellent « l’oncle », pour obtenir de l’argent. « L’oncle » débloque 2 000 $ (1 782 €), versés par le biais d’un virement Western Union. La suite du périple n’est pas connue avec précision. Difficile de comprendre pourquoi le duo n’a pas gagné la capitale française.
10 décembre 2015, 18 h 7, Salzbourg
L’arrestation
Après les attentats du 13 novembre, une course-poursuite s’engage en Europe pour retrouver les 198 passagers du bateau débarqués à Leros le 3 octobre. Les enquêteurs identifient deux d’entre eux dans le centre pour réfugiés Asfinag, à Salzbourg, après le dépôt d’une demande d’asile. Haddadi et Usman ont menti sur leur identité. D’où leur arrestation le 10 décembre, un mois après les attaques. Ils sont bientôt trahis par l’examen de leur téléphonie.
Dans leur témoignage, ces petites mains du complot n’évoqueraient pas les principaux animateurs de la cellule terroriste, tel Abdelhamid Abaaoud. Le jour du procès, ils seront malgré tout des témoins clés, aux côtés de Salah Abdeslam et de Mohamed Abrini, survivants des attaques, et toujours incarcérés en Belgique. Paris pourrait prochainement demander à Vienne l’extradition d’Usman et Haddadi.
Fin septembre 2015, quelques jours avant leur d part pour l’Europe, les quatre hommes sont photographi s dans un magasin de photos de Raqqa, pour r aliser leurs faux passeports, partir d’un lot vol l’administration syrienne, pr cise « Le Parisien » .