BUENOS AIRES (Ciudad Autonoma de Buenos Aires), 30 août 2013 (AFP) –
Rescapée d’Auschwitz, Sara Rus, juive de Pologne, a émigré vers l’Argentine en
quête de paix, mais la dictature militaire lui a enlevé son fils: à 86 ans,
elle milite toujours avec ferveur avec les Mères de la place de mai.
« Je fais comment pour continuer? Je continue car j’aime la vie. (Même s’il)
est beaucoup plus facile de mourir que de vivre », confie Sara Rus en évoquant
avec un journaliste de l’AFP les deux tragédies qui ont marqué sa vie.
Son existence a basculé en 1939. Des agents nazis font irruption dans la
vie tranquille d’une adolescente de 13 ans qui prenait des cours de violon, à
Lodz, 3e ville de Pologne.
« Quand les Allemands sont entrés dans l’appartement, ils ont vu le violon
sur la table et le chef a demandé: +qui joue du violon ici?+ Ma mère lui a
répondu fièrement en allemand: +ma fille+. +Tu aimes jouer du violon? m’a-t-il
demandé avant de le briser sur la table », relate la vieille dame, qui vit
aujourd’hui dans un appartement soigné du nord de la capitale argentine.
Un calvaire de cinq ans a commencé. Elle a été séparée de sa mère, son père
est mort, elle a été envoyée au travail obligatoire dans une usine
aéronautique, avant d’arriver en 1944 à Auschwitz, plus grand camp de
concentration et d’extermination du Troisième Reich.
La lettre à Evita
Elle rencontre dans sa Pologne natale Bernardo Rus, un jeune homme qui
procurait de la nourriture à la famille de Sara Laskier.
« Un jour il m’a dit qu’il avait un oncle en Argentine. Dans un carnet que
j’ai toujours conservé sur moi, il m’a donné rendez-vous le 5 mai 1945 au
Kavanagh », un bâtiment emblématique de Buenos Aires.
C’est le jour où Sara Laskier et sa mère seront libérées d’Auschwitz.
Sara pesait 26 kg en sortant du camp, elle avait 19 ans. Elle retrouve
Bernardo Rus et en 1948, les époux Sara et Bernardo Rus mettent le cap sur
l’Argentine.
Hébergés dans une synagogue avec une centaine de migrants juifs, menacés
d’expulsion par le régime de Juan Domingo Peron, Bernardo écrit en polonais à
l’épouse du président, Evita Peron, et obtient un permis de séjour.
Alors que les médecins allemands lui avaient annoncé qu’elle serait
stérile, en 1950, elle met au monde Daniel.
« Cet enfant est arrivé comme une bénédiction. Enfant, il avait annoncé
qu’il serait physicien dans le nucléaire. En 1976, il a commencé à travailler
à la Commission nationale de l’énergie atomique et le 15 juillet 1977, il a
été enlevé. Depuis, je n’ai jamais eu de ses nouvelles », se souvient Sara Rus,
des trémolos dans la voix, en observant un portrait de son fils.
Ce nouveau drame l’a conduite vers les Mères de la place de mai, une
organisation qui a eu le courage d’interpeller le régime militaire, en
manifestant devant le palais présidentiel pour réclamer des nouvelles de leurs
enfants disparus.
Bernardo Rus a longtemps attendu le retour de la démocratie, survenue en
décembre 1983, espérant qu’elle lui rendrait son fils. Il meurt six mois plus
tard d’un cancer. « Il disait +si mon fils n’apparaît pas, pour moi la vie ne
vaut rien+ », se rappelle sa veuve.
Sara, auteur d’un livre « Survivre deux fois », a été récompensée du prix
Azucena Villaflor pour son militantisme, une distinction remise par la
présidente argentine Cristina Kirchner.
La vieille dame partage son temps entre les conférences qu’elle donne à des
étudiants, les hommages aux 30.000 disparus de la dictature et les visites à
sa fille et ses deux petites-filles.
Pour elle, il est fondamental de « ne pas se taire, comme l’ont fait
d’autres survivants pour ne pas souffrir: c’est comme ça qu’on perd la mémoire
et on ne laisse rien aux jeunes pour éviter que l’histoire se répète ».
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