Madrid, 11 juin 2015 (AFP) – Le Congrès espagnol devait adopter jeudi une
loi permettant aux descendants des juifs expulsés d’Espagne par les rois
catholiques en 1492 d’obtenir facilement la nationalité, pour réparer « une
erreur historique », cinq siècles plus tard.
La loi, proposée par le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy et à
l’ordre du jour de la séance de jeudi, devrait entrer en vigueur en octobre et
susciter au moins 90.000 candidatures de juifs séfarades dans le monde, selon
une estimation officielle.
« Elle dit beaucoup sur ce que nous avons été dans le passé (…) et ce que
nous voulons être à l’avenir: une Espagne ouverte, diverse, tolérante », a
déclaré le ministre de la Justice Rafael Catala devant les députés.
La précédente législation, datant de 1924, permettait à l’Etat d’accorder
la nationalité à ces descendants d’Espagnols mais exigeait qu’ils renoncent à
leur autre nationalité et résident en Espagne.
La nouvelle loi prévoit en revanche que les candidats puissent devenir
bi-nationaux comme c’est le cas d’Espagnols nés dans d’anciennes colonies du
royaume, au Portugal ou en Andorre.
La loi sur les séfarades est soutenue par l’ensemble des partis politiques
espagnols.
« C’est un jour historique, important, émouvant », a déclaré à la presse à
l’entrée de la chambre basse à Madrid le président de la fédération espagnole
des communautés juives, Isaac Querub.
Résidant à Lisbonne, Kelly Benoudis Basilio, 70 ans, enseignante en
littérature à la retraite, a pour sa part l’intention de demander la
nationalité, même si elle ne prévoit pas de s’installer en Espagne.
« C’est très important, pour des raisons émotionnelles », dit cette
descendante de juifs expulsés d’Espagne née dans le nord-ouest du Maroc, et
Portugaise par mariage.
– Exil ou mort –
Les estimations varient mais selon les historiens au moins 200.000 juifs
vivaient en Espagne lorsque les rois Isabelle et Ferdinand leur ont ordonné de
se convertir ou de partir après des années de ségrégation grandissante.
Les juifs d’Espagne, qui avaient vécu en paix avec musulmans et chrétiens
pendant des siècles, devaient partir en quelques semaines et avaient
interdiction de revenir. Ils risquaient la peine de mort s’ils retournaient en
Espagne. Ceux qui refusaient étaient parfois brûlés sur la place publique.
Les exilés, souvent pillés sur les routes, avaient fui vers l’Italie,
l’Afrique du nord, l’Empire Ottoman, les Balkans mais aussi le Portugal. Ce
sont les juifs « séfarades » – ce mot signifiant « Espagne » en hébreu – dont la
culture se répandra ensuite dans la Méditerranée.
D’autres communautés juives avaient auparavant été chassées d’Angleterre et
de France notamment.
La communauté séfarade compterait 3,5 millions de personnes. Certains
utilisent encore une langue romane d’origine espagnole, le « ladino », transmise
de génération en génération.
Kelly Benoudis Basilio se souvient, elle, des contes de son enfance en
« haketia », un dialecte où se mélangent l’espagnol, l’arabe et l’hébreu. « Nous
avons toujours eu un attachement très fort à la culture espagnole », dit-elle.
Les candidats à la nationalité devront disposer d’une attestation sur leurs
origines émise par la fédération espagnole des communautés juives ou par un
rabbin de leur lieu de résidence.
Ils passeront des tests de culture et langue espagnole et auront à prouver
qu’ils ont « un lien spécial avec le pays », où il devront se rendre à leurs
frais pour présenter leur requête.
La loi expirera au bout de trois ans mais pourra être encore prolongée pour
un an si nécessaire.
Elle ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté juive qui craint
qu’elle n’entraine un « enfer bureaucratique » pour ceux qui souhaiteraient en
profiter.
« Cela sera un chemin de Croix (…) je suis déçu », a déclaré à l’AFP Leon
Amiras, qui dirige en Espagne une association de personnes souhaitant émigrer
vers Israël, en provenance d’Amérique latine notamment.
Le député du Parti populaire (PP, droite) Gabriel Elorriaga, rapporteur de
la loi, explique pour sa part qu’elle est le fruit d’une recherche complexe
d’équilibre entre la nécessité de vérifier si les candidats sont légitimes et
le souhait de simplifier la procédure.
En 1992 le roi Juan Carlos avait fait un premier geste important, en se
rendant à la synagogue de Madrid et avait admis les « injustices » du passé.
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