Parmi les 156 000 soldats ayant participé au débarquement allié, il est généralement admis que près de 15 000 étaient juifs. Plusieurs centaines sont tombés au combat, d’autres sont restés pour témoigner. Hommage.
Le débarquement, D-Day, le jour le plus long, Opération Neptune, Opération Overlord : tant de mots pour décrire une journée héroïque et historique intervenue le 6 juin 1944, il y a tout juste 71 ans, sur les plages de Normandie. Parmi les 156 000 soldats ayant participé au débarquement allié, on estime à 15 000 environ le nombre de Juifs. Plusieurs centaines sont tombés au combat, d’autres sont restés pour témoigner. La rédaction leur rend hommage.
Témoin sur Omaha Beach
Sur le bateau qui le mène vers la plage d’Omaha Beach, en ce 6 juin 1944, Hal Baugmarten serre entre ses mains la plaque militaire qu’il porte autour de son cou, où est gravé le mot Jewish. Comme chaque soldat américain, la plaque porte, outre son nom et son numéro de matricule, sa religion. Nécessité macabre : si jamais un soldat tombe au combat, il faut rapidement savoir sous quel rite il doit être enterré…
L’armée américaine a bien proposé à tous ses soldats juifs participant à l’opération de mentionner une autre religion : un soldat allié, Juif de surcroit, qui tomberait entre les mains des nazis, subirait des souffrances terribles, réservées à ceux que l’Allemagne a désignés comme ennemi suprême du Reich et de la race aryenne. Mais Hal, comme beaucoup d’autres, a refusé. Et il a fait bien plus : il a fait broder sur son uniforme une étoile de David jaune, portant l’inscription « Juif du Bronx ».
Dans son livre, « Témoin sur Omaha Beach », ce vétéran de la 29e division d’Infanterie, raconte le débarquement de son point de vue. Issue de la garde nationale, sa division se voit chargée d’un terrible objectif lors de l’opération Overlord : faire partie de la première vague d’assaut aux côtés de la première division d’Infanterie et établir une tête de pont sur la côte normande. La plage codée d’Omaha Beach, engoncée entre de hautes falaises, est fortement défendue par les troupes allemandes. Commandée par le major général Gerhardt et son adjoint le brigadier général Norman Cota, la « première » doit avancer à découvert sur des centaines de mètres devant les villages de Saint-Laurent-sur-mer et Vierville-sur-mer.
Hal n’a que 19 ans, ce 6 juin 1944. Durant les heures qui vont suivre, il va assister au massacre le plus sanglant de cette journée d’apocalypse. Ce matin-là, chaque soldat a le sentiment qu’il est seul face à la mort. « Ils ne nous avaient jamais mentionné que les points de fortifications n’étaient pas directement sur la plage. Les défenses (…) étaient radicalement différentes de celles sur lesquelles nous nous étions entrainées. »
Les officiers sont abattus par les forces allemandes et bientôt les compagnies sont décimées. Hal relate : « J’ai regardé sur ma gauche pour voir le sergent Clarence Roberson tituber dans l’eau peu profonde, sans son casque. Un trou était visible sur la gauche de son front et ses cheveux blonds étaient couverts de sang. La mitrailleuse du point de fortification sur la droite tira au-dessus de ma tête et le coupa en deux. » Une seule question revient à l’esprit de Hal : quand vais-je mourir ?
Hal Baumgarten parvint à sortir de la plage, mais sa journée est un calvaire. Il est blessé 5 fois, sauvé de justesse à chaque fois, miraculeusement. Découvert à moitié mort par une ambulance, il est rapatrié le 7 juin et sauvé. 1000 autres soldats n’auront pas cette chance…
Dans son livre, il avoue ses convictions religieuses fermes qui l’ont guidé à travers toute sa vie et déclare : « Je suis intransigeant dans ma propre religion. Ma croyance en D.ieu est une constante. Je prie tous les jours ».
Mais Hal n’était bien entendu pas le seul soldat juif à participer aux combats du débarquement. Sur près d’un million et demi de soldats juifs ayant participé aux combats durant la Seconde Guerre mondiale, on estime à 281 000 ceux qui sont tombés au combat, l’écrasante majorité appartenant à l’Armée rouge.
Le soldat américain venu venger la mémoire de son frère
L’histoire de Lothar Kahn aurait pu faire l’objet d’un film hollywoodien. Tous les ingrédients sont là : un jeune Juif, qui a fui l’Allemagne nazie après que son frère a été assassiné parce que juif, revient en Europe, le jour du Débarquement, pour venger la mémoire de son frère et des six millions de victimes juives de la Shoah.
Il y a 71 ans, Kahn a approché la côte normande dans un LCM rempli de 28 ingénieurs de l’armée du 146e Bataillon et d’une unité de démolition de combat naval.
Arrivés à Omaha Beach, les soldats comprennent à quelle catastrophe ils doivent faire face : « À la minute où nous avons sauté des canots, les tirs ont commencé. Deux ou trois mitrailleuses allemandes croisaient leurs tirs, ratissaient la plage. Tout ce que j’ai entendu, c’est : ‘tirez-vous de la plage ou vous allez finir comme des canards morts’ ».
Âgé lui aussi de 19 ans, tout comme Hal, Lothar peine sous le poids de son fusil, de son casque, un pack d’explosifs, des pinces coupantes, un masque à gaz, des cartouches, une ceinture de sauvetage gonflable, une cantine, des crochets et de la corde. Il parvient néanmoins à atteindre l’autre bout de la plage sain et sauf, aux côtés d’un groupe de soldats américains, trempés et pétrifiés.
Le règlement de compte de Lothar Kahn avec l’Allemagne nazie commence quelque onze ans auparavant, alors qu’Hitler est nommé, en janvier 1933, chancelier. La famille Kahn vit alors dans un petit village d’Allemagne nommé Gmunden. Alors qu’il a 9 ans, il est expulsé de l’école publique suite à l’adoption des lois raciales. Dix semaines après la montée au pouvoir d’Hitler, le 12 avril 1933, la famille de Lothar devient l’une des premières victimes de la Shoah puisque son fils aîné, Arthur, est assassiné au camp de Dachau. Il était manifestement impliqué dans les mouvements antinazis de l’université de Wurzburg où il étudiait la médecine. Une deuxième sœur, Fani, qui s’est mariée, mourra elle aussi dans la tourmente nazie.
Grâce à l’aide de parents installés aux États-Unis, la famille Kahn obtint un visa d’immigration vers l’Amérique et s’installent à New York, quatre semaines avant le début de la guerre.
Lothar et son frère, Herbert, sont incorporés dans l’armée US et après des semaines d’entraînement, c’est l’unité de Lothar qui est désignée pour mener l’assaut du D-Day. L’Histoire avait rendez-vous avec Lothar Kahn ce jour-là : lui, petit frère de l’un des premiers Juifs assassiné par Hitler, revenu en terre d’Europe pour la libérer du joug nazi…