ENQUÊTE Un groupe de l’Université de Tel-Aviv s’était vu refuser des créneaux pour visiter la Sainte-Chapelle et le Louvre. Le parquet de Paris a été alerté.
Le courrier est parti ce week-end au parquet de Paris. Signé de la main de Jean-François Carenco, le préfet d’Ile-de-France, il est accompagné d’un dossier pour le moins troublant, relayant des soupçons de discrimination à l’encontre d’étudiants israéliens de l’université de Tel-Aviv. Les faits remontent au mois de mai. Le professeur Sefy Hendler, spécialiste de la Renaissance italienne, prépare le voyage à Paris fin juin d’un groupe de douze étudiants en histoire de l’art à l’université de Tel-Aviv. Objectif : visiter les principales institutions culturelles françaises.
Le 11 mai, il écrit aux services de réservation du Louvre et de la Sainte-Chapelle. Les retours ne tardent pas, et ils sont négatifs. «Désolé, nous n’avons pas de possibilité pour cette journée», répond, dans un mail lapidaire, une responsable de la Sainte-Chapelle. Même teneur du côté du Louvre, où trois horaires différents avaient été sollicités : «Nous n’avons pas de disponibilité pour le créneau demandé.»
«Cela m’a semblé bizarre», explique Sefy Hendler qui, troublé, décide de tenter un «testing». Quelques jours plus tard, il formule de nouveaux souhaits de réservation. L’un au nom d’un «institut de l’art» à Florence, l’autre pour le compte de l’«Abu Dhabi Art History College». Deux institutions fictives, mais qui reçoivent, elles, des réponses à la fois rapides et positives.
LE LOUVRE, «VICTIME DE SON SUCCÈS»
«J’étais bouleversé, profondément choqué, explique Sefy Hendler. J’étais prêt à annuler le voyage.» L’homme se ravise finalement, mais décide d’alerter François Heilbronn, président des Amis français de l’Université de Tel-Aviv. Ce professeur à Sciences-Po réunit les différentes pièces du dossier : formulaires de réservation, échanges de mails… Il écrit au président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, à celui du Centre des monuments nationaux (qui gère la Sainte-Chapelle), Philippe Bélaval, ainsi qu’à Fleur Pellerin, ministre de la Culture.
Chacun réagit à sa manière. Du côté du Louvre, la direction reconnaît avoir été «troublée» par les résultats du testing. Une enquête interne est déclenchée. Trois jours plus tard, elle livre son verdict. «En quelque sorte, nous avons été victimes de notre succès, explique la direction. Nous recevons en moyenne 400 demandes de réservation par jour et proposons des créneaux de visite quart d’heure par quart d’heure. Mais la demande est deux fois supérieure à l’offre.»
Le système de réservation, automatisé, ne permet pas de créer de «file d’attente virtuelle» pour les requêtes rejetées. Les deux testings auraient donc eu la «chance» de solliciter des créneaux libres, alors que celui demandé par Tel-Aviv était déjà pris. «D’ailleurs, une seconde réservation de l’université israélienne a été acceptée par la suite», précise le Louvre. Après un délai de trente-cinq heures, contre quinze minutes pour les deux institutions fictives.
UNE RÉPONSE «DÉSINVOLTE»
Du côté de la Sainte-Chapelle, le système n’est pas automatisé, mais 100% humain. Philippe Bélaval, président des Monuments nationaux, explique qu’une enquête interne a fait apparaître des «dysfonctionnements répétés» et débouchera certainement sur une «procédure disciplinaire». Mais, à ce stade, estime-t-il, «il n’est pas établi qu’il y ait eu de discrimination». Il assure que la responsable du service de réservation «n’a jamais manifesté d’hostilité à Israël» et regrette davantage une forme «d’approximation dans le traitement des demandes» et un manque de «rigueur et de professionnalisme».
«Cette réponse apparaît désinvolte par rapport à la gravité des faits, regrette François Heilbronn. Si le parquet est saisi, ça ne sera plus une simple enquête interne, mais une enquête conduite par les services de police.» De quoi faire la lumière sur une «discrimination supposée, venant d’une institution culturelle à vocation universelle, et pratiquée par des fonctionnaires. C’est un délit qui tombe sous le coup de la loi». C’est d’ailleurs à ce titre que le préfet Carenco a alerté la justice. L’article 40 du code de procédure pénale prévoit en effet que tout fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions prenant «connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs».
Sefy Hendler, de son côté, défend le «respect de l’accès à la culture pour tous». «Mes étudiants reflètent toute la diversité de la société israélienne», explique-t-il. A la fin du mois de juin, ils arpenteront bien les couloirs du Louvre et de la Sainte-Chapelle. A la découverte d’un patrimoine dont leur professeur leur «a tant parlé», et qui a pourtant failli leur échapper.
IsraelValley