Paris, 8 mai 2015 (AFP) – Depuis des mois, ils accompagnent leurs enfants
sous l’oeil de soldats en armes: beaucoup de parents se sentent rassurés par
cette présence devant les écoles juives mais d’autres angoissent, optant pour
le départ, en particulier en Israël, par crainte d’attentats.
Début d’après-midi à l’école Lucien-de-Hirsch, dans le nord-est de Paris.
C’est l’heure de la sortie pour les élèves de la plus ancienne école juive de
France. S’engouffrant dans l’établissement gardé par des militaires, des
parents cherchent leurs petits et repartent rapidement. Dans la rue, plots et
barrières métalliques tiennent les voitures à distance.
« Ce n’est vraiment pas normal d’aller à l’école et de voir des soldats avec
des mitraillettes », soupire Sandra Azoulay, mère de deux enfants de 12 et 8
ans. Après les attentats de janvier contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo et
dans un supermarché casher, son fils n’a pas voulu aller à l’école pendant
quatre jours. « Il me disait +Ils vont venir en moto, il va y avoir un
attentat+ ».
Très vite, des soldats ont été déployés aux abords de l’établissement. Si
leurs armes ont d’abord « choqué » ses enfants, aujourd’hui ces hommes en
treillis font partie du paysage.
« On a appris à se connaître. Les enfants les regardent avec admiration et
sont contents de les voir », assure Yaël Cohen-Solal, présidente de
l’association de parents d’élèves. Mais « on a du mal à imaginer qu’un jour,
ils partiront ».
– Plus en sécurité dans le public? –
Si le gouvernement se veut rassurant, promettant de consacrer 3 millions
d’euros à la protection des lieux juifs en 2015, beaucoup de parents
s’interrogent sur l’avenir.
Comme d’autres, Sandra Azoulay se dit que « malheureusement, ça ne peut pas
durer, car ça coûte beaucoup d’argent à l’Etat ». « On s’inquiète.
L’antisémitisme grandit à toute vitesse », témoigne Esther, mère de quatre
enfants, « la prunelle de (s)es yeux ». Qui, pour elle, sont aussi bien dans le
privé juif: « L’école publique, je me dis que les élèves ne sont pas plus en
sécurité, dans certains quartiers ».
Mais certains parents renoncent à l’enseignement confessionnel. « L’an
dernier, vingt familles, soit une cinquantaine d’élèves de Lucien-de-Hirsch,
ont quitté l’école pour partir en Israël. Il y en aura au moins autant cette
année, c’est certain », anticipe Paul Fitoussi, chef de cet établissement de
1.200 élèves de la maternelle à la terminale. Il note toutefois que des
arrivées ont compensé ces départs.
Pour Patrick Petit-Ohayon, directeur de l’Action scolaire au Fonds social
juif unifié (FSJU), « le tournant a vraiment été pris avec le drame de
Toulouse », lorsque Mohamed Merah a tué trois enfants et le père de deux
d’entre eux à l’école juive Ozar Hatorah, le 19 mars 2012.
Des parents se sont dit « soit je quitte la France pour aller à l’étranger,
Etats-Unis, Canada… Soit je quitte l’établissement juif pour le public ou le
privé non juif car ils avaient le sentiment qu’être dans une école juive,
c’est être une cible ».
Sur les 32.000 élèves scolarisés dans environ 280 structures juives,
Patrick Petit-Ohayon a compté à la rentrée 2014 « un millier d’élèves en moins,
remplacés par un millier venant du public ou du privé » catholique.
A Toulouse, « depuis les attentats de janvier, nous avons comptabilisé 200
certificats de judaïcité, qui permettent de bénéficier de la +loi du retour+
en Israël, alors qu’il y en avait une centaine l’année dernière sur la même
période. Pour nous c’est incroyable. Ce sont parmi les gens les plus actifs
dans la communauté qui partent », s’alarme Nicole Yardeni, présidente du Crif
Midi-Pyrénées.
– ‘Parents protecteurs’ –
« Mais le mouvement ne se fait pas que dans un sens, les choses sont
complexes. En février, les journées portes ouvertes des écoles juives ont
montré que beaucoup de familles souhaitaient y inscrire leurs enfants, animés
par la volonté de conserver une tradition juive », nuance-t-elle.
Pour la rentrée 2015, « il y a quand même un grand point d’interrogation. On
est moins confiants sur le remplacement » des élèves partis, juge Patrick
Petit-Ohayon.
« Ces départs pas entièrement compensés, à la longue c’est inquiétant »,
commente Yossef Matusof, directeur de l’école juive Gan Rachi de Toulouse.
S’il « regrette profondément » qu’un tel niveau de sécurité soit désormais la
norme, il juge que « la décision a été bien prise », face aux risques
d’attaques. Aux parents il répète qu’il ne faut pas « céder à la panique, ce
serait céder aux terroristes ».
Parmi eux, certains n’hésitent plus à s’impliquer, endossant le rôle de
« parents protecteurs », un dispositif mis en place par le FSJU. Bénévoles, ces
vigies ont été formées par le Service de protection de la communauté juive
(SPCJ), organisme communautaire qui oeuvre en lien avec le ministère de
l’Intérieur. Leur mission: surveiller les allées et venues, veiller à ce qu’il
n’y ait pas d’attroupement, signaler les comportements ou objets suspects.
A Lucien-de-Hirsch, « il y a plus de 60 ou 80 parents qui tournent », estime
Sandra Azoulay, expliquant que ces volontaires sont formés au krav maga,
discipline d’autodéfense israélienne.
Responsable des parents d’élèves d’Ohr Torah (anciennement Ozar Hatorah),
Pierre Lasry « connaît beaucoup de mères, très sympas, qui mettent des gilets
pare-balles et font de la surveillance aux heures d’arrivée et de sortie » des
classes. « Moins flippé » que d’autres, il trouve quand même que la situation
« finit par être pesante ».
« J’aimerais qu’on foute la paix aux enfants une bonne fois pour toutes,
qu’on puisse dormir sur nos deux oreilles. »