Paris, 3 avr 2015 (AFP) – Le 30 mars 2012, la campagne présidentielle bat
son plein, marquée par les crimes commis quelques jours avant par Mohamed
Merah: à l’aube, la police cueille une quinzaine d’islamistes, membres du
groupe salafiste Forsane Alizza, dissous quelques semaines plus tôt par le
gouvernement.
Le président sortant Nicolas Sarkozy fait état d' »éléments extrêmement
sérieux ».
Le procureur de la République, François Molins, plus prudent, évoque un
« projet intellectuel » de rapt de magistrat à Lyon, sans « tentative de
commencement d’exécution ».
La classe politique se déchaîne, de François Bayrou, le candidat centriste,
qui dénonce une « mise en scène », à la socialiste Martine Aubry, qualifiant ce
coup de filet de « spectacle ».
Après les tueries de Merah à Toulouse et Montauban, du 11 au 19 mars, et
les critiques des services, « il fallait montrer qu’on agissait », se souvient
un enquêteur. « On nous a demandé ce qu’on avait. Il y avait Forsane Alizza. »
Qui sont ces « cavaliers de la Fierté », la traduction de Forsane Alizza? Des
illuminés instables psychologiquement qui se piquent d' »agit-prop »,
manifestent en brûlant le code pénal pour soutenir leurs « soeurs » voilées et
scandent en défilant des slogans abscons?
Ou s’agit-il, selon les enquêteurs, d’extrémistes ayant « adhéré à une
idéologie religieuse radicale et violente », appartenant à un groupe « unifié,
structuré et hiérarchisé » derrière le Nantais Mohamed Achamlane, 37 ans, dans
l’objectif de se former au maniement des armes et de commettre des « actes de
terrorisme »?
– « Forsane al-Pizza » –
Vétéran de l’islamisme français le plus radical, membre d’Al-Qaïda, Willy
Brigitte a participé à des entraînement sportifs fin 2011 à
Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) avec Forsane, composé, selon lui, de
« gamins qui faisaient le buzz ». « Ils font du spectaculaire pour faire parler
d’eux. »
Placés sur écoute, des anciens se gaussent de « Forsane al-Pizza », trop mou
à leurs yeux.
Coiffé d’un turban blanc, vêtu d’une djellaba, vociférant et se filmant à
la sortie des tribunaux, goûtant les médias, diffusant des vidéos
provocatrices, Mohammed Achamlane, alias Abou Hamza, ne fait pas dans la
discrétion.
Le mouvement de cet ancien délinquant a été dissous début 2012 et les
avoirs d’une association liée, la Cadut, ont été gelés.
Lui explique lutter contre l’islamophobie, concède être « excessif dans le
langage », « borderline » mais « sans franchir les limites ».
L' »émir » décrit ses suiveurs comme « des gamins, des bras cassés »,
« inoffensifs ». Il ajoute avoir « tourné de l’oeil plusieurs fois » en apprenant
ce qu’on lui reprochait.
– Une action imminente? –
Mais pour un enquêteur, « une action imminente devait avoir lieu ». En
témoignent l’armement retrouvé, « des entraînements physiques », « un
endoctrinement religieux en vue de participer au jihad armé », la location
d’une maison dans l’Isère ou l’achat « précipité » d’une moto.
La surveillance des forums montre un Achamlane plus vindicatif qu’en garde
à vue: il dénonce « l’islam bisounours, l’islam +Je vous fais des câlins, des
bisous+ ». « On va lui mettre des cicatrices à la France, on va la balafrer
Inchallah », prévient-il.
Même en garde à vue, il se laisse parfois aller: « Quand ils vont revenir de
Syrie, ils auront goûté au sang » et cela va « devenir ingérable pour vous et
vos services ».
La dissolution de Forsane, le 24 janvier 2012, est l’occasion d’un
communiqué évoquant un éventuel « appel aux armes », « à force de propagation de
l’hostilité visant les musulmans et la menace grandissante visant les femmes
de notre communauté ».
Le 7 février, il propose à l’Etat un « pacte de non agression envers la
communauté musulmane »: si ses exigences « n’étaient pas prises en compte », il
prévient qu' »alors » ses membres « considèrerons que le gouvernement est entré
en guerre contre les musulmans ».
Ensuite, le groupe ne dissimule pas son admiration pour le « tueur au
scooter » dans ses échanges: « Mohamed Merah vient de sonner le gong du réveil
de la oumma islamiya (Nation islamique)!!! », « Il est resté debout seul grâce à
Allah l’unique face aux troupes de Satan », « J’ai la haine un truc de fou bande
de clebs, j’espère que ça va encore frapper ».
– « Accélérateur de radicalisation » –
Confronté à un de ces messages, Achamlane parle d’un goût pour la
« provocation », affirmant qu’il ne s’agit pas de « la ligne de conduite de
Forsane Alizza ».
Les écoutes sont pourtant souvent édifiantes, comme celle où Samir Ameur
explique qu’il va « leur faire un gros trou là où il faut, là, à ces fils de
chien ». Après la dissolution, « Abou Hamza » s’énerve aussi, prévient que « les
projets sérieux » vont « commencer ».
Des mots sans conséquences matérielles, car si le rapt du magistrat, des
attaques contre Libération et Charlie Hebdo ont bien été évoqués, aucun projet
précis n’a été mis au jour.
Parce que les policiers ont agi à temps, répond une source proche du
dossier qui énumère les découvertes inquiétantes: une vidéo intitulée
« pourriture de chiens juifs », une liste de lieux d’obédience judaïque, des
coordonnées de personnalités politiques, des recherches sur internet ayant
trait à la fabrication d’explosifs, à l’achat d’armes, d’autres avec en mots
clés « enlèvement », « juge », « kidnappé ».
Un projet de rapt qui aurait été au centre d’une réunion peu avant le coup
de filet, le 30 mars à Givors, dans la banlieue de Lyon. Si cela a été évoqué,
c’était « sur le ton de la plaisanterie », dit Achamlane qui invoque sa passion
des armes pour expliquer l’arsenal retrouvé.
Le parquet a requis le renvoi en correctionnelle de quinze membres présumés
de Forsane, et non aux assises. Mais un enquêteur n’en démord pas: c’était un
groupe dangereux, un « accélérateur de radicalisation ».
Pour preuve, il cite Réda Bekhaled: mineur lors du coup de filet puis
libéré, il est de nouveau écroué depuis l’automne 2014. Les policiers sont
convaincus de l’avoir arrêté juste avant qu’il ne passe à l’action.
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