Les communautés juives d’Europe sont déchirées entre les problèmes sécuritaires et une grave crise financière
Les communautés juives d’Europe sont-elles au bord de la faillite? Cela dépend lesquelles.
Alors que certains dirigeants de la communauté en Allemagne et en France rejettent l’avis de l’émissaire américain sur l’antisémitisme, qui a dit s’inquiéter des coûts élevés de sécurité, d’autres admettent que la majorité des communautés juives ne peuvent plus assumer les dépenses croissantes.
Depuis les attentats qui ont secoué l’Europe, notamment ceux contre l’Hypercacher à Paris et à Copenhague, les mesures de sécurité mises en place pour protéger les écoles et institutions juives de l’antisémitisme ont été renforcées. Cependant, le coût de ces dispositifs pose des problèmes à certaines communautés qui ne sont pas en mesure d’en assumer les frais.
« C’est pourquoi la plupart des institutions juives sont encore non-protégées », indique le directeur général de l’Association européenne juive, le rabbin Menachem Margolin.
« L’Allemagne et la France se sont fermement engagées à protéger leurs communautés juives, mais ce n’est pas ainsi dans toute l’Europe. Les Juifs dans des pays comme l’Ukraine disent clairement ne pas être en mesure d’assumer les coûts des besoins en sécurité et leur gouvernement ne peuvent pas les aider », ajoute-t-il, soutenant ainsi le commentaire de l’émissaire américain Ira Forman. Lors d’une visite récente en Suède, Forman a déclaré que « la plupart des communautés juives en Europe de l’ouest sont au bord de la faillite en raison des frais qu’ils ont à débourser pour protéger leurs institutions. Nous nous inquiétons de la viabilité même des petites communautés. »
D’autres dirigeants se sentent par ailleurs plus optimistes quant à leur capacité à gérer le fardeau. « Les coûts sont effectivement élevés, mais les communautés juives en Allemagne sont en mesure de les assumer », assure le président du Conseil central des Juifs en Allemagne, Josef Schuster. Le vice-président du CRIF, Yonathan Arfi, a également précisé que « nous ne sommes pas menacés de faire faillite la semaine ou le mois prochain. Les dépenses de sécurité ont augmenté au cours des quinze dernières années. Mais le problème le plus urgent est la diminution de la population juive, ce qui signifie moins de donateurs. Cela pourrait nuire à l’équilibre financier des écoles juives, par exemple ».
Une préoccupation est néanmoins partagée par toutes les communautés juives. « Chaque fois que nous exigeons des autorités qu’elles augmentent les niveaux de sécurité, nous voyons des commentaires antisémites sur des sites web, du genre: “pourquoi le gouvernement devrait prendre soin de vous? Si vous voulez de la sécurité, payez-vous la vous-même” », témoigne le rabbin Margolin. Afri appréhende la même réaction: « Certains médias français ont souligné que le coût du déploiement de troupes pour garder les institutions juives est d’environ un million d’euros par jour. Nous travaillons sur le plan politique pour expliquer qu’il s’agit d’une dépense importante, mais nous sommes inquiets que les gens trouvent quand même les coûts élevés. »
« La crise financière des communautés juives ne peut pas être discutée publiquement », souligne également Michael Gilad, président de la communauté juive de la ville ouest-allemande de Krefeld. « Cela ferait tout simplement augmenter la haine et les gens diraient: ‘regardez combien d’argent ils nous demandent encore de débourser’”. Mais les fonds que nous recevons du gouvernement ne couvrent même pas le coût de la moitié des mesures de sécurité dont nous avons besoin. C’est la même situation dans toute l’Allemagne », souligne-t-il, malgré la position plus rassurante de Schuster.
Gilad convient cependant que « ce n’est pas exact de dire que nous sommes en faillite, mais la situation est très difficile. Nous exprimons nos préoccupations lors de réunions avec des représentants du gouvernement et les autorités régionales et nous essayons de leur montrer que le montant que nous recevons n’est pas suffisant, que davantage de mesures de sécurité sont nécessaires. Nous restons optimistes, mais jusqu’à présent, nous n’avons vu aucun progrès ».
Mais même ceux qui nient l’existence d’une crise dans leur communauté reconnaissent que beaucoup plus pourrait être fait pour améliorer le niveau de sécurité. “Notre centre Chabad est grand ouvert », déclare le rabbin Shneor Havlin de Dresde, où de vives tensions ont éclaté ces derniers mois en raison des manifestations massives de PEGIDA (mouvement d’extrême droite, ndlr).
« Nous avons une voiture de police à l’extérieur en tout temps et la ville paie pour cela, mais si nous avions les ressources financières, nous installerions des caméras, mettrions en place de meilleures clôtures et embaucherions un autre garde de sécurité. Beaucoup d’améliorations pourraient être apportées. » Pourtant, il insiste: « Nous ne sommes pas en faillite. C’est juste comme n’importe quel autre problème qui se pose et nous avons à y faire face ».
« Nos écoles et jardins d’enfants ont aussi besoin de protection », ajoute le rabbin Yitzchak Mendel Wagner de Krefeld. Ceux qui entrent dans son centre croisent déjà sont entrée à l’épreuve des bombes, des détecteurs de métaux, des caméras et du verre pare-balles. « Pendant l’opération à Gaza nous avions un garde de sécurité qui nous conduisait à la maison parce que les gens criaient contre nous dans la rue. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », rassure-t-il, « mais si la situation dégénère de nouveau, je suis sûr que la communauté nous fournira la sécurité nécessaire, peu importe le coût. »
Polina Garaev est la correspondante d’i24news à Berlin