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Analyse: Marine Le Pen, entre le local et le national

Le front National en tête des sondages
Marine Lepen

L’exploit électoral du FN hâte la fin du bipartisme, symbole de la Cinquième République

Ce dimanche s’est déroulé en France le second tour des élections départementales, les ci-devant « cantonales », où les candidats se disputaient les 2054 cantons répartis entre les 101 départements que comporte le territoire.

Comme on s’y attendait la droite a consolidé son avance du premier tour au détriment d’une gauche largement battue. L’UMP de l’ancien président Sarkozy, alliée aux centristes de l’UDI, a emporté 67 départements. Le PS a évité la déroute qu’il craignait, mais il a 28 départements, y compris dans certains de ses fiefs traditionnels comme le Nord, les Côtes-d’Armor, et, défaite particulièrement cuisante, la Corrèze, terre d’élection de François Hollande.

Cependant, le grand gagnant de ce scrutin est le Front national, ou plutôt le Rassemblement Bleu Marine, la coalition d’extrême droite de Marine Le Pen, qui, sans parvenir à décrocher un département, place de nombreux élus et confirme ainsi son double ancrage national et local.

Cet exploit électoral hâte la fin de bipartisme qui a caractérisé la vie politique française depuis les débuts de la Vè République. La logique du régime présidentiel et du scrutin majoritaire uninominal à deux tours la structurait autour de deux forces hégémoniques, droite et gauche, chacune dominant un certain nombre de satellites. L’émergence du FN sonne le glas de cette bipolarisation. Durablement ? Difficile à dire, tellement cette logique est rétive à un véritable multipartisme. Naturellement, le FN espère la reconstituer à son profit, pour, à terme, s’emparer du pouvoir. Ses chances sont malaisées à évaluer. A son actif, une montée en force qui s’est poursuivie d’élection en élection depuis la prise en main du mouvement par Marine Le Pen, en janvier 2011. L’accession de son père au second tour de la présidentielle de 2002 – le funeste « 21 avril » resté proverbial dans les annales de la République – pouvait être considéré comme un accident, vite corrigé par la victoire digne d’un potentat africain de Jacques Chirac une semaine plus tard.

Demain, dans le même cas de figure, « Marine » ne subirait plus le même sort. C’est que, dans l’intervalle, elle aura tenté, et réussi, un formidable travail de normalisation de son parti, de « dédiabolisation » comme elle aime à dire. A son actif aussi, et par voie de conséquence, la porosité du camp de la droite. A tous les niveaux de pouvoir, militants et électeurs de la droite modérée se montrent de moins en moins dociles aux mots d’ordre de leurs états-majors et de plus en plus disposés à voter pour les candidats du FN, dont ils ne perçoivent plus le côté sulfureux. D’autant que ces mots d’ordre, entre le « ni ni » de Nicolas Sarkozy (ni PS ni FN), l’appel au « vote républicain » de certains de ses lieutenants et le franc appel à l’union de toutes les droites, fussent-elles extrêmes, de nombreux élus locaux, ne brillent pas par la clarté.

A son actif enfin, si l’on peut dire, le discrédit qui frappe la classe politique française, gauche et droite confondues. Une crise qui n’en finit pas, un président sans autorité, un gouvernement qui tire à hue et à dia, une opposition gravement divisée et minée par des scandales à répétition, des élites que tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont « coupées du peuple » et sourdes à ses angoisses, un sentiment diffus de pertes de repères, aggravé par l’insécurité – un tel cocktail a toujours été favorable aux solutions simples dont les droites extrêmes ont toujours eu le secret.

Le FN aux portes du pouvoir donc ? 20:28 Pour Marine Le Pen, le score du FN aux départementales est le « socle des victoires de demain ».

C’est aller un peu vite en besogne. Si de nombreux Français semblent prêts à lui faire confiance au niveau local, rien ne dit qu’il en ira de même au niveau national. Le vote FN reste largement un vote protestataire. Comment sait-on cela ? Par le décalage abyssal entre son programme et les positions des Français sur des points essentiels de ce programme. S’ils s’accommoderaient bien de la « préférence nationale », sans qu’on sache d’ailleurs ce que cela recouvre, ils ne songent nullement à quitter l’Union européenne, ni, à 75% d’entre eux, à abandonner l’euro. Voilà pourquoi, plutôt que de lui faire un inutile procès en « fascisme », ses adversaires feraient mieux de décortiquer ledit programme, dont le moindre début d’application serait certain de ruiner la France.

Rendez-vous le 2 avril prochain, date de la désignation des présidents des conseils départementaux se projetant sur la prochaine échéance électorale des régionales en fin d’année.

Et, au-delà, les 23 avril et le 7 mai 2017, jours probables de la prochaine élection présidentielle, l’élection reine. Car tout y tend en France, y compris ces modestes scrutins locaux.

Elie Barnavi est historien et essayiste, Professeur émérite d’histoire moderne à l’Université de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d’Israël en France.

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