Le négociateur en chef de l’Organisation de libération de la Palestine a récemment écrit à Laurent Fabius pour dénoncer le projet des autorités israéliennes.
L’entreprise française Safege, engagée depuis près de deux ans dans la conduite d’études préalables à l’implantation d’un téléphérique à Jérusalem, vient de jeter l’éponge. La crainte de controverses prévisibles, ainsi qu’une mise en garde récemment adressée par le ministère de l’Economie et le Quai d’Orsay, semblent avoir échaudé les responsables de ce bureau d’étude. Le tracé envisagé traverse la partie orientale de la ville, dont l’annexion par Israël n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. «Pour éviter toute interprétation politique, Suez Environnement a décidé de ne pas donner suite», a indiqué au Figaro un porte-parole du groupe auquel appartient Safege.
Durant la campagne municipale de l’automne 2013, le maire de Jérusalem s’était engagé à aménager un téléphérique entre l’ancienne gare ottomane, située dans la partie occidentale de la ville, et le Mont des oliviers. Le tracé validé par la municipalité et le ministère des Transports prévoit qu’une station intermédiaire soit installée devant la Porte des immondices, non loin du mur des Lamentations et de l’esplanade des mosquées. Le projet vise officiellement à faciliter l’accès à ces sites qui reçoivent chaque année 10 millions touristes, ainsi qu’à réduire la pollution et à désengorger les abords de la vieille ville. Mais ses détracteurs soupçonnent aussi la municipalité de chercher à désenclaver les colonies juives établies au cœur de quartiers palestiniens, ainsi qu’à inscrire un peu plus dans les faits l’occupation de Jérusalem-Est.
Responsables convoqués discrêtement par Paris
Le négociateur en chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Saeb Erekat, a ainsi adressé le 10 mars dernier une missive courroucée à Laurent Fabius. Il y déplore qu’une entreprise française ait accepté de s’associer à cette initiative. Cette prestation, estime-t-il, «va contribuer à renforcer l’annexion illégale et de facto de Jérusalem-Est, ainsi qu’à faciliter les déplacements entre les colonies illégales» et la partie occidentale de la ville. «Ce projet va aussi conduire à l’expropriation illégale de propriétés privées, dont certaines appartiennent au Waqf [la fondation jordanienne en charge des lieux saints musulmans] et à des églises chrétiennes», a-t-il ajouté, appelant au passage le ministre des Affaires étrangères à faire pression sur les entreprises impliquées pour qu’elles se retirent.
Craignant visiblement que la polémique ne prenne de l’ampleur, l’administration française a discrètement convoqué les responsables de Safege. Ceux-ci ont été reçus le 12 mars à la direction générale du Trésor, où ils ont été mis en garde contre les risques juridiques liés à ce projet. L’entreprise s’est défendue en précisant n’avoir livré aucuns travaux depuis la publication par la France, en juin 2014, de «conseils» sur le commerce avec les colonies israéliennes. Elle a par ailleurs indiqué avoir sollicité un avis juridique afin d’évaluer les risques encourus.
Climat électrique autour des projets d’aménagement
En renonçant à livrer l’étude qui lui a été commandée le 19 mai dernier, Safege franchit aujourd’hui un pas supplémentaire. Le bureau souhaite visiblement se prémunir contre toute atteinte à sa réputation. L’entreprise française Poma, «leader mondial du transport par câble» qui avait récemment manifesté son intérêt pour le projet, marque également ses distances. Dans un communiqué publié le 10 mars, elle souligne n’avoir «signé aucun contrat ni réalisé aucune étude de faisabilité en vue d’un projet à Jérusalem.»
Cette volte-face illustre le climat électrique qui entoure les projets d’aménagement israéliens à Jérusalem-Est. Sitôt le projet de téléphérique dévoilé, il y a trois semaines, plusieurs associations pro-palestiniennes se sont mobilisées pour faire pression sur Safege et Poma. En 2007, les entreprises Alstom et Veolia avaient également été la cible de vigoureuses campagnes en raison de leur participation à la construction et à l’exploitation du Tramway de Jérusalem, qui circule en partie à l’est de la ligne verte et dessert des quartiers de colonisation. Elles furent à l’époque poursuivies, sans résultat, devant les tribunaux français.