Pour André Bercoff, le premier enseignement des départementales reste l’ancrage du FN et la déroute du PS. Le journaliste invite à se méfier des sondages et de leur interprétation.
La soirée d’hier n’a pas démenti -et pourquoi l’aurait-elle fait?- les résultats de toute élection, basés sur un trépied aussi fantaisiste que révélateur: les sondages; les faits; leur interprétation. À l’auberge espagnole des fantasmes, politologues, sondologues, et monologues dansaient devant un buffet dont ils ne s’apercevaient même pas que la table a été renversée, et la vaisselle en train de se briser.
Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, le Front National est encore, dans cette élection, le premier parti de France en nombre de suffrages exprimés.
Sans l’UDI, en effet, l’UMP passe en deuxième position et Jean-Christophe Lagarde a bien fait de souligner que son parti tenait à montrer sa différence en appelant à voter «républicain» au second tour. Dès lors, demander au FN s’il est déçu des résultats, n’a de sens que si l’on se réfère aux prévisions des sondages, ce qui ne veut rien dire. S’il y a comparaison, elle ne peut que se référer aux résultats des précédentes élections du même type. Tout le reste est littérature de fin de banquet.
Sarkozy, en animal politique qu’il demeure, a eu la victoire modeste, ce qui lui était facile puisque cela correspond aux antipodes de l’image que l’on a de lui. Il pouvait la jouer cool; en prônant le ni-ni, il connaît la porosité, sur un certain nombre de domaines, entre électeurs bleu marine et votants de son propre camp: qu’importe donc un nombre certain de conseillers FN dans les départements, puisque l’ivresse de 2017 est à ce prix. Et puis, il ne messied pas qu’un parti qui, dans une épreuve locale, réunit plus du quart des votants et qui n’a que deux députés à l’Assemblée Nationale, se voit légitimement doté de quelques grains supplémentaires à moudre.
Le PS sait qu’il va perdre plusieurs de ses bastions traditionnels, et qu’il est en train de se réduire comme peau de chagrin. Sans être encore au point de numéroter ses abattis, il se rend compte que trois ans de pouvoir hollandais le ramènent, comme d’habitude, à son étiage de 20% au premier tour. Il est donc normal que Manuel Valls se soit précipité dès 20h pour répéter qu’il a affronté victorieusement le Monstre à main nue, et qu’il a réussi à endiguer sa résistible ascension tout en annonçant deux scoops: il aime la France et il appelle à une mobilisation générale, y compris de cette partie de la gauche qui le voue quotidiennement aux gémonies. Reconnaissons que Valls a fait consciencieusement campagne et qu’il peut ainsi se présenter comme le successeur légitime d’un Hollande affaibli, porte-drapeau d’une social-démocratie totalement assumée. Les chants désespérés sont les chants les plus beaux.
Il était temps, par ailleurs, que les citoyens écologistes se débarrassent d’une EELV métastasée par ses magouilles politiciennes. Le Front de Gauche, vaillamment, se tasse et ne se rendra pas.
Il reste que si Marine Le Pen ne s’était point engagée dans une débauche de protectionnisme, d’étatisme et une planification économique à la gauche de Syriza, l’addition des voix UMP et FN ferait une majorité éloquemment absolue.
Cauchemar pour les uns, espoir pour les autres: les notions de droite et de gauche traditionnelles sont définitivement fracassées et le pouvoir, demain, ne se gagnera que sur deux axes incontournables: l’économie et l’identité.
André Bercoff