Le FN progresse dans les urnes comme le souligne le premier tour des départementales. Au-delà des clichés, Frédéric Saint Clair analyse les motivations profondes de ce vote.
Le vote Front National est de nouveau au cœur des questionnements en cette période d’élections départementales. Au-delà des résultats sortis des urnes et des débats sur une éventuelle progression ou régression du vote FN, une question se pose: Qui vote FN? Et surtout, pourquoi?
Les partis de gouvernement, UMP et PS, considèrent cet électorat en potentielle augmentation comme un enjeu de plus en plus central. En revanche, le regard qu’ils portent sur lui ne varie pas, ou peu. Les électeurs FN sont, à l’exception d’une base supposée à peu près stable dans le temps, considérés comme des déçus de la politique, des contestataires ayant décidé d’envoyer un message aux partis traditionnels (messages que ces derniers peinent à entendre), des «anti-système» qui ont fait du «votre contre» le leitmotiv de leur engagement politique. Mais la segmentation du vote FN est-elle réellement si tranchée? N’y a-t-il personne entre ceux qui adhèrent massivement aux idées du Front National et ceux qui, sans y adhérer, estiment que l’offre politique actuelle impose un tel choix, et s’y rallient par défaut?
Et si la part variable de l’électorat FN était constituée de personnes pour qui ce parti politique incarnait une forme d’espoir face à une modernité politique d’où il est de plus en plus absent? Un sauf conduit hors des barrières étouffantes de leur quotidien? Et si le FN jouait désormais en matière de psychologie politique le même rôle que le Loto dans l’économie domestique? Celui de générateur d’espérance? De sparadrap psychologique?
À ceux qui ne comprennent pas pourquoi la loterie nationale, considérée comme un impôt sur la pauvreté, rassemble tellement de gens, il faut rappeler ce que c’est encore qu’au XXIème siècle, de n’avoir aucun espoir d’ascension sociale. Il faut expliquer combien il peut être humiliant de ne jamais pouvoir emmener ses enfants en vacances, de n’être pas à même de les vêtir comme ils le souhaiteraient, de ne pas leur offrir l’éducation et l’environnement social qu’ils mériteraient. De ne pas pouvoir incarner cet amour que l’on éprouve pourtant si fortement à leur égard. Ce que c’est que de devoir répéter jour après jour: «Non, je ne te l’achèterai pas, parce qu’on n’a pas d’argent.» Chaque individu qui joue au Loto sait qu’il n’a pour ainsi dire aucune chance de remporter la timbale. Il sait qu’il joue à perte, mais sa survie psychologique est à ce prix. Il reste au moins un espoir… Et c’est grâce à cet espoir, aussi infime soit-il, qu’il trouve la force de se lever chaque matin, de supporter la fatigue du jour et les angoisses de la nuit.
De la même façon, pour comprendre la psychologie politique de cette frange de l’électorat FN, il faut s’imprégner de ce que sont les quartiers sensibles, ces «cités où les délinquants défient la loi» comme le titrait récemment un article du Figaro.
Il faut comprendre ce que deviennent même certains quartiers des centres villes où il faisait bon vivre naguère et qui aujourd’hui inspirent l’insécurité. Il faut comprendre ce que cela signifie de subir la pression du travail toute la journée et d’être confronté à une autre pression, menaçante, parfois dangereuse, psychologiquement fragilisante, en rentrant chez soi, en allant faire ses courses, en promenant son chien, en allant chercher ses enfants à l’école. Il faut connaître ces halls d’immeuble qui, chaque matin et chaque soir, outre la crasse, les graffitis et l’odeur de pisse, vous plongent dans cette atmosphère inquiétante, trouble, face à ceux qui l’incarnent. Il faut comprendre également la vague d’éthnicisation qu’ont subi certains quartiers au sein desquels les autochtones font désormais figure d’étrangers. Le sentiment d’isolement. Le sentiment que ce grand remplacement auquel ils refusent intellectuellement d’adhérer prend forme néanmoins autour d’eux, ne serait-ce que par la disparition progressive des repères républicains, par la déconnexion entre leur quotidien et celui, conté par leurs grands-parents, d’il y a un demi-siècle.
Ce segment de l’électorat FN n’est vraisemblablement pas dupe des petites phrases, des promesses intenables, de l’incapacité de ce parti à gouverner efficacement. Le fait est qu’il n’est pas dupe non plus de l’incapacité des autres partis politiques à résoudre les problèmes de la société, malgré les promesses réitérées à chaque élection depuis des décennies.
Il ne vote pas FN pour donner une leçon à l’UMP et au PS, pas plus qu’il ne vote FN parce qu’il adhère à ses idées. Il vote FN parce que sa survie psychologique est à ce prix. Le vote FN n’est donc pas, pour ce segment de l’électorat, un acte politique, mais un remède psychologique.
Il vote FN non comme une protestation anti-système, non comme une adhésion philosophico-politique aux thèses héritées du maurrassisme, mais comme un cri, de détresse, parfois de désespoir, comme un cri dans ce désert politique au sein duquel la modernité nous a tous plongés.
Ils déposent un bulletin dans l’urne comme ils valident leur ticket chez le buraliste, en espérant, en se disant: pourvu que mon quotidien change, non seulement le mien, mais celui de ma femme, de mes enfants, de mes parents. Pourvu qu’on sorte de cet enfer. Ils ont cette conscience aigüe qu’ici-bas nous n’avons qu’une vie et qu’elle est en train de filer, mais qu’autour d’eux rien ne change, toujours la même misère, et l’insécurité, et l’insalubrité. Ils votent comme ils jouent au Loto, gardant espoir, mais sans grande illusion…
Frédéric Saint Clair
Frédéric Saint Clair est mathématicien et économiste de formation. Il a été chargé de Mission auprès du Premier ministre pour la communication politique (2005-2007). Il est aujourd’hui Consultant Free Lance.
Source europe israel