Pour les Américains séjournant à l’étranger, la mondialisation des réseaux sociaux n’a pas que des avantages.
Ainsi, Ryan Pate, 30 ans, originaire de Floride, a découvert à ses dépens que la liberté d’expression sur Facebook, garantie par le premier amendement de la Constitution américaine, n’est pas reconnue dans les Emirats arabes unis (EAU), même quand ce droit est exercé sur le territoire des Etats-Unis.
Ryan Pate travaillait depuis 2012 comme mécanicien d’hélicoptère pour la société émiratie Global Aerospace Logistics (GAL), sise à Abou Dhabi. Fin 2014, il rentre chez lui en Floride pour se fiancer, et aussi pour se faire soigner, car il souffre du dos. Son médecin lui recommande de se reposer pendant quelque temps, et de rester aux Etats-Unis pour des examens complémentaires. Il prévient son employeur, mais celui-ci refuse de rallonger son congé et exige qu’il soit examiné par un médecin émirati. Puis, craignant sans doute que son employé ne revienne plus à Abou Dhabi, GAL cesse de lui verser son salaire.
Furieux, Ryan Pate publie sur sa page Facebook un message violent à l’encontre de son entreprise. Il l’accuse de l’avoir « poignardé dans le dos », insulte les habitants de l’émirat et déconseille aux mécaniciens occidentaux d’aller travailler là-bas. Puis il décide de démissionner et de se réinstaller aux Etats-Unis.
Dix jours de prison
Mi-février, il retourne à Abou Dhabi dans l’intention de résilier son contrat de travail, de toucher son salaire impayé et de s’occuper de son déménagement, mais rien ne se passe comme prévu : à son arrivée, il est convoqué au commissariat de police. Là, les policiers lui montrent des copies de ses messages Facebook, l’informent qu’il a enfreint plusieurs lois sur la diffamation et l’obligent à signer des documents en arabe qu’il ne comprend pas. Il est alors accusé d’avoir insulté l’islam, les Emirats, la société GAL et ses directeurs. Il est aussitôt envoyé en prison.
Depuis 2012, les EAU se sont dotés de lois très sévères pour réprimer la diffusion sur Internet de messages insultants, critiques ou moqueurs à l’égard d’une personne ou d’une organisation. L’affaire Ryan Pate montre qu’ils entendent les appliquer quel que soit le lieu où l’infraction a été commise, ce qui revient à s’attribuer de facto une compétence universelle sur le contenu des réseaux sociaux américains, dès lors que la victime présumée est un de leurs ressortissants.
Depuis la Floride, la fiancée de Ryan Pate a lancé sur Internet un appel aux dons, pour payer les frais d’avocat, qui sont élevés. Elle s’est aussi adressée au représentant de sa circonscription au Congrès de Washington, David Jolly. Celui-ci a contacté le département d’Etat et le ministère de la justice des Emirats pour tenter de faire annuler la procédure, en vain. Le représentant se dit « très perturbé par le fait que M. Pate soit soumis à des poursuites judiciaires pour une action tout à fait légale, accomplie dans son propre pays ». De surcroît, l’affaire s’est produite sur Facebook, perçu par les Américains comme un réseau 100 % national, soumis en priorité aux lois américaines.
Après dix jours de prison, Ryan Pate a été libéré sous caution, mais il n’a pas le droit de quitter Abou Dhabi. Contacté par le journal de Floride The Tampa Tribune, il semble dépassé par les évènements : « Je voudrais m’excuser pour tous ceux que j’ai entraînés dans cette affaire… Je me suis laissé déborder par mes émotions. Je ne pouvais pas imaginer qu’un message publié sur Facebook alors que j’étais aux Etats-Unis pourrait m’envoyer en prison au Moyen-Orient. » Son procès est prévu pour le 17 mars. Le procureur a abandonné les deux inculpations les plus inquiétantes – insulte à l’islam et aux Emirats –, mais il risque quand même jusqu’à cinq ans de prison et 50 000 dollars d’amende.