Le Père Henri Boulad apporte ici un texte magnifique de précision et de brièveté sur l’islam qui reflète si bien nos cheminements de pensée. Jean-Patrick Grumberg. Vivace, tenace, coriace, pugnace… et en même temps fossilisé, momifié, nécrosé, embaumé… l’islam reste l’islam, obstinément fidèle à ses origines, à ses textes fondateurs, à ses options historiques.
Entre les islams – soufi, mystique, libéral, ouvert, modéré, éclairé – et l’islam sunnite orthodoxe officiel, pur et dur, radical et intransigeant, c’est ce dernier qui l’a toujours emporté, s’imposant par la force, la menace, la coercition, la violence… envers et contre tout, envers et contre tous.
Les musulmans modérés sont légion, mais l’islam modéré n’existe pas
Les musulmans modérés sont légion, mais l’islam modéré n’existe pas. C’est un vœu pieux, un rêve, une utopie relevant du « wishful thinking » (NDLR: vœu pieux). Il représente une projection de ce qu’on voudrait qu’il soit – et qu’il aurait pu être – si toute tentative de réforme n’avait pas été systématiquement bloquée à partir du 9° siècle, si tout effort de réflexion critique (Avicenne, Averroès, Farabi, Al-Kindi…) n’avait pas été étouffée dans l’œuf.
Le mythe d’une Andalousie ouverte et libérale est à revoir à partir de la réalité historique. Les magnifiques propos de certains intellectuels musulmans contemporains, s’efforçant de promouvoir un « islam des lumières », sont fort louables, mais elles n’expriment les positions que d’une élite infime qui ne fait pas le poids face à l’immense masse des musulmans dévots accrochés à leurs certitudes. Elle ne parvient pas à s’imposer face à un Azhar pétrifié dans son dogmatisme et son intransigeance.
C’est aujourd’hui « l’heure de vérité » pour l’islam. Deux scénarios sont envisageables : ou bien un terrible affrontement à la Huntington avec l’occident et le reste du monde… ou bien un effondrement et une implosion, tels qu’annoncés par Hamed Abdel-Samad.
Si tout dialogue avec l’islam a tourné court jusqu’à présent, c’est qu’un tel dialogue a soigneusement évité d’aborder les vraies questions ou s’est systématiquement heurté à un mur.
Entre l’islam mekkois, considéré comme spirituel et mystique, ouvert et tolérant… et l’islam médinois radical fanatique et conquérant, le choix a été fait il y a plus de mille ans. Et ce choix semble malheureusement irréversible.
Lorsque l’intellectuel soudanais, Cheikh Mahmoud Taha, a suggéré il y a plus de vingt ans un retour à l’islam mekkois des origines, il a été pendu sur la place publique en plein centre de Khartoum.
J’ai l’impression que les jeux sont faits – hélas ! – et que l’islam est dans l’impasse la plus totale. Son apparente vitalité aujourd’hui pourrait bien ne représenter que les derniers soubresauts d’un moribond.
© Henri Boulad, sj, Le Caire, 23 février 2015 pour Dreuz.info.