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Analyse: qui en Israël s’inquiète de la corruption?

medium_drapeau_etat_d_israel_2Que sont quelques shekels de fonds publics par rapport à la bombe iranienne, au Hezbollah, au Hamas ou à l’EI

Lorsque l’affreux boucan de cette campagne électorale de bas niveau s’estompera enfin, les Israéliens devront faire beaucoup d’introspection. Et ce, quel que soit le résultat de l’élection et celui de l’enquête sur la façon dont le Premier ministre Benyamin Netanyahou et son épouse gèrent leurs dépenses.

La question qui doit cependant être posée est la suivante: pourquoi les Israéliens ne se souviennent pas vraiment de la corruption? Depuis quand la corruption des dirigeants politiques a cessé d’être un facteur dans les choix politiques des citoyens de ce pays? Blâmer seulement la liste croissante de politiciens corrompus est trop facile. Il faut être franc: ce n’est pas seulement eux, c’est tout Israël. Si les Israéliens ne s’en soucient pas, pourquoi le devraient-ils, eux? Et il s’avère que cela n’inquiète guère: tous les sondages montrent que le rapport du contrôleur de l’Etat, qui a épinglé Netanyahou pour les dépenses excessives de fonds publics à sa résidence, a eu un impact mineur, voire aucun, sur le soutien accordé au Likoud.

Un événement récent de la campagne explique à merveille l’une des réponses à cette question. Des représentants de tous les partis (sauf les partis orthodoxes) se sont réunis la semaine dernière avec un groupe de parents endeuillés qui ont perdu un enfant lors d’une guerre ou d’un acte de terrorisme. Personne ne les a questionnés au sujet de la corruption, personne ne s’en souciait. Tout ce que les parents voulaient savoir était comment les partis – de gauche comme de droite – avaient l’intention de mettre un terme à l’incessant cycle de la violence et aux pertes en vies humaines. Lorsque que l’on a suffisamment manipulé les gens pour arriver à leur faire croire qu’ils doivent faire un choix existentiel entre le caractère sacré de la vie elle-même et le style de vie somptueux de leurs dirigeants, la réponse est évidente.

On peut légitimement affirmer qu’il s’agit d’une situation très spécifique de gens ayant un ordre du jour marqué par la douleur. Pas tout à fait. Dans la psyché israélienne, chaque famille est soit endeuillée, soit elle l’est potentiellement. C’est l’une des raisons pourquoi avoir un programme économique ou civique ne fonctionne pas ici, corruption incluse. Les normes morales en Israël sont otages de l’idole sécuritaire et des menaces sans fin, réelles ou imaginaires. C’est un terrain fertile pour la corruption et la manipulation par les dirigeants de tout l’échiquier politique.

Même si elle touche actuellement le Likoud et son chef, cette perception n’est certainement pas réservée seulement aux électeurs des partis de droite. C’est ainsi que la gauche a choisi de fermer les yeux sur la corruption de dirigeants, comme Ariel Sharon et Ehud Olmert lorsqu’ils ont promis la paix ou une solution au conflit sanglant. Les électeurs de gauche savaient, ou avaient de bonnes raisons de soupçonner, que ces deux dirigeants étaient corrompus, mais ont choisi de ne pas leur en tenir rigueur. Le désespoir quant à l’effusion de sang continue de l’emporter sur toutes les autres valeurs.

Pour être honnête, la « corruption » a cessé d’être une abomination. Il y a 25 ans, le slogan populaire « Corrompu, rentre à la maison » se référait à une certaine forme de corruption, qui semble enfantine maintenant si on la compare à celle d’aujourd’hui. Le slogan a été repris en période d’élections plus tard et transformé en autocollants pour une campagne de lutte contre la corruption dirigée par l’un des principaux journaux d’Israël. C’était tellement naïf! Au cours des années qui ont suivi, les dirigeants politiques israéliens se sont plutôt retrouvés en prison. D’autres, comme Olmert, subissent un long et honteux procès. On peut en conclure que la corruption est une raison d’envoyer les politiciens en prison, mais pas de les renvoyer chez eux. Cela revient à dire que la corruption devient un problème seulement lorsqu’elle est criminelle; elle n’a pas à être jugée ou sanctionnée selon des normes morales.

Comment cela se peut-il? Certains experts de la société israélienne disent que les Israéliens acceptent l’absence de normes chez leurs politiciens, car ils ne possèdent eux-mêmes pas ces normes. Les petites tricheries et manipulations opérant en dehors ou au sein de la loi sont devenues un comportement standard. Cela est interprété en partie comme un acte de représailles des citoyens déçus de leur Etat qui leur en demande tant et qui leur redonne si peu. Si tromper l’Etat, éviter l’imposition, etc., sont considérés comme des comportements normatifs, alors les politiciens font de même en abusant de l’argent public. Le rêve du premier Premier ministre, David Ben Gourion, était de voir un « voleur juif « . Cela représentait alors pour lui un signe de normalité du jeune Etat d’Israël. Son rêve a certainement été réalisé. Il faut toujours visualiser ce qui est rêvé. Le style de vie somptueux de Netanyahou, comme celui d’Olmert et d’Ehud Barak avant lui, est souvent comparé au style austère de Ben Gourion. C’est une comparaison injuste. À l’époque de Ben Gourion, Israël n’avait pas d’oligarques menant un style de vie ostentatoire, le “m’as-tu-vu” n’était pas la norme, les écarts de revenus n’étaient pas aussi tragiques, les banquiers n’étaient pas rois et le bien public était une valeur précieuse. Ces jours ont disparu depuis longtemps. La cabane de Ben Gourion dans le Néguev a été remplacée par la panoplie de maisons de fantaisie que nos Premiers ministres possèdent, en plus de la résidence officielle. Cela devient un problème lorsque nous sommes appelés à financer tout cela.

La situation a empiré avec les années. Aujourd’hui, la corruption des politiciens est devenue un fait incontournable, presque un cas de force majeure. L’hypothèse sous-jacente est que politique est synonyme de corruption, que tous les politiciens sont corrompus. Le message incorporé dans cette hypothèse, c’est que même si l’on remplace un politicien par un autre, cela ne fera pas vraiment de différence. Alors pourquoi s’embêter?

Et de toute façon, que sont quelques shekels d’argent public par rapport à la bombe iranienne, au Hezbollah, au Hamas et à l’État islamique? Nourrir nos peurs de menaces réelles ou imaginaires est le meilleur moyen de garantir l’immunité. Et cela fonctionne, à tous les coup.

Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, « Le million qui a changé le Moyen-Orient » sur l’immigration d’ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.

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