Le Musée des Beaux-Arts de Berne a annoncé
lundi qu’il acceptait l’héritage du collectionneur d’art allemand Cornelius
Gurlitt, un trésor de plus de 1.500 oeuvres dont certaines, volées à des juifs
par les nazis, seront restituées aux ayants droit.
Environ 500 oeuvres dont l’origine est litigieuse seront conservées dans un
premier temps en Allemagne en attendant que la lumière soit faite sur leur
provenance.
Le président de la Fondation du Musée, Christoph Schäublin, a précisé lors
d’une conférence de presse à Berlin que son institution allait coopérer avec
les autorités allemandes pour déterminer quelles sont les oeuvres volées ou
extorquées sous le nazisme en vue de leur restitution aux propriétaires
légitimes.
« Le conseil de la Fondation du Musée de Berne a décidé à l’occasion d’une
réunion le 22 novembre d’accepter l’héritage » de Cornelius Gurlitt tel qu’il
l’a souhaité dans son testament, a annoncé M. Schäublin.
La valeur de cet héritage se chiffre en dizaines de millions d’euros, selon
les médias allemands.
Toutefois, a souligné M. Schäublin, cette décision n’a pas été facile à
prendre et « n’a en aucun cas suscité de sentiments de triomphe », notamment car
cet héritage contient des oeuvres d’art volées à des collectionneurs ou
marchands d’art juifs, dont beaucoup sont morts dans des camps d’extermination.
La collection de M. Gurlitt, mort en mai à 81 ans, comprend des créations
de Picasso, Monet ou Chagall, sorties de l’oubli en 2012 lors de leur
découverte dans l’appartement du vieillard à Munich (sud), ainsi que d’autres
dessins ou peintures retrouvés un peu plus tard dans sa maison de Salzbourg,
en Autriche.
Elle va accroître considérablement la notoriété du musée de la capitale
suisse, le plus ancien de la Confédération, qui possèdait déjà quelque 4.000
oeuvres.
Néanmoins, le musée « ne touchera pas » aux oeuvres issues des spoliations
nazies ou soupçonnées de l’être, et celles-ci « ne viendront donc pas sur le
sol suisse », a insisté M. Schäublin. Elles resteront en Bavière en attendant
qu’un groupe d’étude (taskforce), mis en place par l’Etat allemand et la
Bavière, rende ses conclusions.
S’il est avéré qu’un tableau ou un dessin provient de spoliations, il sera
remis à un ayant droit si celui-ci a été identifié. Un site internet
lostart.de présente toutes les oeuvres dont l’origine est controversée pour
permettre aux éventuels descendants de propriétaires volés de les reconnaître.
– ‘responsabilité historique’ –
Si le groupe d’experts ne peut déterminer avec suffisamment de certitudes
qu’une oeuvre a été volée, le Musée de Berne devra décider lui-même s’il veut
prendre le risque de récupérer ou non l’oeuvre en question.
Les oeuvres dont l’origine ne pose pas de questions « seront remises » à
l’institution culturelle suisse.
Une cousine de Cornelius Gurlitt, Uta Werner, 86 ans, réclame toutefois cet
héritage devant la justice. Elle estime — rapport d’expert à l’appui — que
le collectionneur souffrait « d’obsessions paranoïaques » de nature à invalider
son testament.
L’accord trouvé entre l’Etat fédéral allemand, le Musée de Berne et la
Bavière est « une bonne solution » et « une étape importante » dans le travail que
l’Allemagne fait sur son passé nazi, a affirmé la secrétaire d’Etat allemande
à la Culture, Monika Grütters.
L’Allemagne assume « sa responsabilité historique pour la souffrance et le
tort causés sous la terreur nazie aux personnes persécutées par le régime
nazi, en particulier les gens de religion juive », a-t-elle insisté.
Elle a également indiqué que l’Allemagne était « prête à la restitution
immédiate » de trois oeuvres d’art dérobées à des juifs. Parmi elles, figure un
tableau de Matisse, « Femme assise », volé au marchand d’art Paul Rosenberg,
grand-père de la journaliste française Anne Sinclair.
La Suisse a également salué cet accord, tout comme l’ancien avocat de M.
Gurlitt et l’antenne allemande de la Jewish Claim conference pour qui le débat
suscité autour de cet encombrant héritage a montré que la question des oeuvres
spoliées par les nazis allait occuper l’espace public « encore longtemps ».
M. Gurlitt est mort le 6 mai, peu après avoir passé un accord avec l’Etat
allemand prévoyant la restitution des oeuvres d’art retrouvées chez lui dont
il serait démontré qu’elles proviennent de spoliations.
Dans son testament, le vieillard avait en outre décidé de confier sa
collection au Musée des Beaux arts de Berne, une décision qui avait « surpris »
l’institution culturelle, a rappelé M. Schäublin mais qui, selon lui, a été
prise par l’octogénaire après mures réflexions.
Cornelius Gurlitt tenait son trésor de son père, Hildebrand Gurlitt,
collectionneur d’art sous le IIIe Reich au passé trouble.
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