Le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich
est ému et fier: « Fier », dit-il, « du succès de cette entreprise polono-juive »,
le Musée de l’histoire des Juifs de Pologne, que les présidents polonais et
israélien inaugurent mardi à Varsovie.
« Ce sera une nouvelle donne pour les rapports entre Polonais et Juifs », a
déclaré le rabbin à l’AFP. « Ces relations n’étaient pas mauvaises, mais elles
deviendront meilleures ».
Sans attendre son inauguration officielle par les présidents Bronislaw
Komorowski et Reuven Rivlin, le musée a déjà attiré plus de 400.000 visiteurs
venus assister à différents événements depuis l’ouverture de ses portes en
avril.
Certes, le bâtiment lui-même mérite le détour par son audace
architecturale. Dessiné par les Finlandais Rainer Mahlamaeki et Ilmar
Lahdelma, construit sur le terrain de l’ancien ghetto, sa façade en verre est
coupée par une grande brèche évoquant le passage de la mer Rouge par les Juifs.
– « Polin » –
« Polin » (« Pologne » et en même temps « Repose-toi ici » en hébreu) est un
musée « narratif », selon la directrice des programmes, Barbara
Kirshenblatt-Gimblett. Autrement dit, sans exposer des objets anciens, il
cherche surtout à raconter le passé grâce à des installations multimédia et
des scènes de vie ou des paysages urbains reconstitués.
Y compris, bien entendu, l’horreur de l’Holocauste perpétré par les nazis
allemands sur le territoire de la Pologne, mais sans en faire l’unique fil
conducteur.
Y compris l’antisémitisme, une réalité indéniable de la vie des Juifs dans
toute l’Europe, la Pologne comprise.
Mais en même temps, l’exposition révèle la richesse de la vie juive en
Pologne, très souvent méconnue.
Chassé de plusieurs pays occidentaux, les Juifs ont afflué dans le Royaume
de Pologne et de Lituanie et, au milieu du XVIIIe siècle, ils étaient 750.000
à y vivre.
A la veille de la IIe guerre mondiale, un citoyen polonais sur dix était
juif, soit 3,3 millions de personnes. Ils n’étaient plus que 200.000 à 300.000
en 1945. Beaucoup ont émigré depuis et la communauté juive de Pologne, active
et dynamique, compte aujourd’hui environ 7.000 membres actifs, alors que les
Polonais d’origine juive sont à peine quelques dizaines de milliers.
La création du musée a coïncidé avec un mouvement inattendu de « coming-out »
de la troisième génération de descendants des Juifs ayant survécu à
l’extermination.
Une pièce de théâtre intitulée « The Hideout » (« Cachette »), mise en scène
par un jeune homme de théâtre, Pawel Passini, et dont la première a eu lieu
samedi à Varsovie, est composée de brèves histoires de gens ayant passé deux
années cachés pendant l’occupation nazie dans un placard ou sous un plancher.
– « Découvrir leurs origines » –
« Ils ne sont jamais sortis de ce placard », dit un des personnages. On
comprend que les fugitifs, traumatisés à vie, n’ont jamais parlé de leur
expérience à leurs enfants ou à leurs petits-enfants. Les Polonais qui les
avaient cachés, dont la grande actrice Irena Solska, non plus. Et des jeunes
gens, aujourd’hui âgés d’une trentaine d’années, ont commencé à découvrir
leurs origines seulement tout récemment.
Parfois par hasard, comme ce supporter de foot violent et raciste, qui,
découvrant que sa petite amie est d’origine juive, la rejette. Puis ses
parents, en l’apprenant, lui révèlent qu’ils sont juifs eux aussi…
Le musée de Varsovie, même s’il suscite quelques controverses – le degré
d’antisémitisme montré est-il conforme à la réalité ? le rôle des communistes
juifs à l’époque stalinienne est-il suffisamment évoqué ? – reflète une
évolution importante dans les rapports des deux communautés.
Symboliquement, son exposition permanente a été financée par des donateurs
privés, Juifs de la diaspora et Polonais, qui ont réuni 33 millions d’euros.
Mais le bâtiment a été construit et payé par la ville de Varsovie et le
ministère polonais de la Culture qui ont déboursé 42,5 millions d’euros.
« Il y a de l’antisémitisme ici, comme il y en a malheureusement partout »,
dit le rabbin Schudrich. « Mais son niveau est plus bas en Pologne que dans des
pays tels que la France, l’Autriche ou la Hongrie, grâce à l’enseignement du
pape Jean Paul II. Et le musée contribuera certainement à le réduire encore ».
via/mrm/plh