Les jeunes Français tentés par le jihad sont
dans le collimateur d’un projet de loi présenté mercredi en Conseil des
ministres, qui prévoit notamment une interdiction de sortie du territoire pour
certains ressortissants, une mesure qui s’ajoute à un arsenal législatif
national déjà lourd.
Confrontés au départ en nombre de jeunes volontaires ou résidents français
pour la Syrie, et au retour de certains, les services de lutte antiterroriste
et les magistrats spécialisés demandaient depuis des mois le renforcement de
l’arsenal juridique français.
Ce texte, dont l’AFP a pu consulter l’exposé des motifs, prévoit notamment
la création d’une interdiction administrative de sortie du territoire
français, qui concernera certains ressortissants, majeurs ou mineurs, afin
d’éviter qu’ils n’aillent se radicaliser sur des théâtres d’opérations
extérieurs, pour représenter une menace à leur retour.
Cette interdiction, d’une durée maximum de six mois, sera décidée par le
ministre de l’Intérieur et pourra être renouvelée « aussi longtemps que les
conditions sont réunies », précise le texte. Elle pourra a posteriori être
contestée devant la justice administrative.
Le passeport de la personne concernée sera momentanément invalidé et
confisqué, mais il lui sera toujours possible de voyager à l’intérieur de
l’espace Schengen et vers des destinations hors Schengen avec une carte
d’identité.
Les compagnies de transport auront interdiction de prendre à leur bord les
personnes concernées et devront avertir les autorités dès la réservation.
Si les personnes concernées parviennent tout de même à quitter le
territoire, elles pourront dès lors faire l’objet d’un mandat d’arrêt
international.
– Resserrer les mailles du filet –
Le projet de loi prévoit également une nouvelle incrimination :
« l’entreprise individuelle à caractère terroriste ». La loi française prévoit
déjà « l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise
terroriste », pierre angulaire du système judiciaire français en la matière.
Il s’agit avec sa déclinaison individuelle de se doter d’un nouvel outil
juridique contre ceux que l’on appelle souvent les « loups solitaires », qui se
radicalisent individuellement, le plus souvent sur internet, et décident de
passer à l’action sans contacter quiconque, ce qui les rend d’autant plus
difficiles à repérer.
Il faudra que des éléments matériels et concrets aient été rassemblés par
les enquêteurs qui prouvent qu’un passage à l’action était proche pour que
cette incrimination puisse être appliquée.
Un autre volet de la loi prévoit le renforcement des outils de répression
de l’apologie d’action terroriste et d’incitation, essentiellement sur
internet. Elle encadre également les « techniques spéciales d’enquête », afin de
permettre notamment aux enquêteurs d’infiltrer des réseaux et d’avoir recours
à des écoutes et des sonorisations.
Pour internet, le texte renforce l’obligation faite aux opérateurs de
retirer promptement tous les contenus faisant l’apologie du terrorisme, sur
une base similaire à ce qui existe en matière de pédo-pornographie. Il prévoit
aussi le blocage administratif de sites glorifiant le terrorisme. Une liste de
sites sera régulièrement soumise pour blocage à un juge indépendant.
« Le but de ce texte est de resserrer au maximum les mailles du filet, de
serrer tous les boulons possibles pour limiter le plus possible la menace,
tout en sachant que le risque zéro n’existe pas et qu’il est impossible de
tout empêcher », a confié à l’AFP une source proche du dossier.
Le départ pour l’étranger d’un apprenti-jihadiste, même signalé, restera
toujours possible, notamment s’il évite les transports en commun et voyage par
la route, mais le but de la loi est de rendre ces départs les plus difficiles
possible, ajoute la même source.
Selon les estimations officielles, environ 800 Français ou résidents
français (dont quelques dizaines de femmes) seraient partis en Syrie, en
seraient revenus ou s’apprêteraient à le faire, ce qui pose aux services
spécialisés un problème de surveillance.
La dangerosité présumée des vétérans du jihad syrien a été illustrée à la
fin mai quand un Franco-algérien de 29 ans, Mehdi Nemmouche, a tiré sur des
visiteurs et des employés du Musée juif de Bruxelles, tuant quatre personnes.
Avant de commettre en mars 2012 sa tuerie (sept morts, dont trois enfants),
le Franco-algérien Mohamed Merah avait été formé pendant une dizaine de jours
au maniement des armes dans la zone pakistano-afghane.
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