Copenhague, 19 juin 2014 (AFP) – Le Danemark inaugure jeudi, neuf ans après l’affaire des caricatures de Mahomet, sa première mosquée avec minaret,
construite grâce à 20 millions d’euros venus du Qatar.
L’ouverture d’un complexe de 6.700 m2 comprenant la mosquée, un centre culturel, un studio de télévision et une salle de sport est une victoire après des années de querelles politiques et de protestations des riverains.
Mais coincée entre une concession automobile et un loueur de boxes, ce n’est pas tout à fait le symbole d’intégration qu’espéraient nombre des 200.000 musulmans du pays.
Les Danois entretiennent une relation complexe avec la deuxième religion du pays, influencés par les dix années (2001-2011) que le Parti populaire danois (droite, anti-immigration) a passées au gouvernement, et la violence des réactions aux caricatures publiées par le journal Jyllands-Posten en 2005.
Aucun responsable politique national n’honorera l’événement de sa présence.
L’argent du Qatar sent le soufre, venant d’un pays enrichi par son gaz mais dont l’image a été ternie par des atteintes aux droits de l’homme et les scandales qui entourent déjà la Coupe du monde de football qu’il doit organiser en 2022.
Certains ont prétexté d’autres engagements, d’autres ont été plus francs.
« Je ne prendrai pas le risque de soutenir quelque chose qu’il serait
stupide de soutenir », a déclaré au quotidien Berlingske le président
d’Alliance libérale (centre-droit), Anders Samuelsen.
Son homologue du Parti populaire danois, Kristian Thulesen Dahl,
soupçonnait le Qatar de « très probablement espérer une influence directe ou indirecte sur la mosquée », ce qui selon lui nuirait à l’intégration des musulmans du Danemark.
Avec une nouvelle direction depuis 2012, ce parti arrivée en tête aux élections européennes en mai a certes modéré son discours sur l’islam, mais pour les responsables de la mosquée, il reste loin de la vérité.
« Nous ne sommes pas concernés par la politique au Qatar et n’avons rien à voir avec ce qui se passe là-bas », dit à l’AFP le porte-parole du Conseil islamique danois, Mohamed Al Maimouni.
D’après lui, le Conseil a « les pleins pouvoirs » au sein de cette mosquée, et l’argent versé par le Qatar est « un don généreux qui ne s’accompagne d’aucune exigence ».
Son organisation prévoyait d’abord d’attirer des donateurs du Koweït ou d’Arabie Saoudite, mais une évocation du projet sur la chaîne qatarie Al Jazeera a attiré l’attention de l’ancien émir Hamad bin Khalifa Al Thani.
Les musulmans danois ont dit aux bailleurs de fonds du Golfe vouloir promouvoir le dialogue avec d’autres groupes de la société danoise.
D’ailleurs, des représentants de l’Église du Danemark et de la communauté juive sont conviés jeudi.
Une délégation du Qatar, dont le ministre des Affaires islamiques, doit être également présente à la cérémonie, retransmise par Al Jazeera et par la télévision publique qatarie.
« Avec cette plateforme on pourra éviter les conflits comme celui des caricatures de Mahomet, parce qu’elle crée du dialogue et de la
compréhension », estime M. Al Maimouni, pour qui les musulmans danois ont une « interprétation modérée de l’islam ».
« L’islam au Qatar ou au Maroc n’est pas le même qu’au Danemark. Bien sûr il y a quelques principes qui ne changent pas avec le temps ni l’endroit, mais d’autres choses peuvent changer », explique-t-il.
Le Conseil veut par exemple dissuader les jeunes musulmans danois d’aller se battre en Syrie, alors que selon le Centre international d’étude de la radicalisation (ICSR) de Londres, le Danemark est derrière la Belgique le pays d’Europe où ils le font le plus fréquemment.
Dans un pays de moeurs très libérales, où les protestants célèbrent des mariages homosexuels, de nombreuses questions demeurent sur l’adaptation de la mosquée sunnite à la société dans laquelle elle s’implante.
« Dans l’islam, l’homosexualité est une chose qui est mauvaise, bien sûr. On le voit comme un dérèglement », déclarait M. Al Maimouni au Jyllands-Posten à la veille de l’inauguration.
Brian Arly Jacobsen, sociologue de l’université de Copenhague spécialiste des religions, disait ne pas savoir si le porte-parole s’était exprimé en son nom propre ou pour son organisation.
« C’est un domaine dans lequel ils sont très conservateurs », notait-il. « Et les opposants à la mosquée auront beau jeu d’utiliser cela comme argument contre leur projet ».