J’ai, comme vous chers lecteurs, des bleus à l’âme, tant l’attentat de Pittsburgh
(Pennsylvanie) a meurtri nos cœurs. Dans la terrible vague de sidération et d’effroi qui nous
a saisis, face à cet horrible crime, la seule consolation que nous ayons pu connaître est le
très bel élan de solidarité né aux Etats-Unis. De l’opération #ShowUpForShabbat, dont nous
vous parlons dans ce numéro, à la gentillesse des musulmans de Pittsburgh, venus
témoigner d’un soutien sans faille, l’Amérique a prouvé qu’elle n’est pas coutumière d’une
telle haine à l’égard des juifs. Et qu’elle n’entend pas le devenir, contrairement à l’Europe,
qui peine à proposer, à l’antisémitisme, une réponse ferme, en termes de rejet comme de
sanction. Je n’ai et n’aurai pas d’autres mots, car tout n’est que peine et désolation dans
cette affaire, et parfois le silence est la seule réponse. Bientôt viendra le temps de la colère
et de la lutte. Pour l’instant, c’est la peine qui nous occupe…
S’il était impossible, de faire l’impasse sur ce sujet, c’est d’une autre peine, vieille d’un siècle,
que je veux vous entretenir cette semaine. Une peine qui embrasa l’Europe, une peine qui
en ce frileux mois de novembre, se solda par une paix fragile. Si nos jeunes savent parfois
mal, peu ce qu’il advint de l’Europe lors de cette Première Guerre Mondiale, si le drame des
poilus dans les tranchées et leur quotidien entre boue et obus leur est étranger, car trop
ancien, il nous faut leur dire plusieurs choses…
D’abord que le devoir de mémoire de cette guerre dont le bilan humain fut très lourd n’est
pas une option : 14-18 fut l’un des plus intenses témoignages de la folie des hommes et des
dégâts que causent l’alliance entre le progrès industriel (en matière d’armement
notamment) et la soif de domination.
Qu’ensuite, ce fut, pour les Français juifs, à l’égal des autres, l’occasion de montrer leur
fierté d’appartenir au peuple français, leur fierté de servir la patrie, cette patrie, qui au gré
des tourments politiques, avait choisi de leur offrir la citoyenneté, à l’égal de ceux qui se
disaient chrétiens ou athées en terre de France. Nombre de nos coreligionnaires furent des
poilus. Parmi ceux-là, un certain capitaine Dreyfus. Un jour, un historien ayant fait du terrible
destin d’Alfred Dreyfus, le centre de son étude, livra, lors d’une conférence, quelques
anecdotes émouvantes sur ce sujet : Après « l’Affaire », celle qui déclencha un hideux raz-
de-marée antisémite, celle qui causa, de manière aujourd’hui certaine, la mort d’Emile Zola,
celle, surtout, qui envoya ce pauvre capitaine pourrir au bagne durant de longues années,
l’armée finit par regarder ses failles en face et la vie reprit son cours, plus ou moins. Alfred
Dreyfus, réhabilité certes et surtout peu rancunier, se remit au service de l’armée française,
celle-là même qui l’avait trahi, sali, banni, dégradé…
Durant la Grande Guerre, il servit donc son pays. Au moment de l’Armistice, il était sur le
front. Charge lui fut donnée d’avertir les soldats que la guerre était finie. Il appela alors son
second et lui dit : « dites-leur, vous. Si c’est moi, ils ne le croiront pas… » Fataliste, Dreyfus
savait à quel point la tache sur son honneur était indélébile, quand bien même il n’était en
rien coupable. Cela ne l’a pas empêché de servir et défendre la France, son pays…
Am Israël Haï
Alain Sayada