Exposition au musée de la Diaspora de Tel Aviv sur la correspondance intime de Lucie et Alfred Dreyfus
« Je t’aime et t’adore, ma chère Lucie. Mille baisers aux enfants … Les larmes remplissent mes yeux quand je pense à eux ».
La relation épistolaire intime des époux Dreyfus sera exposée pour la première fois en Israël au musée de la Diaspora (Beit Hatfoutsot) à l’université de Tel Aviv à partir du 11 mars prochain.
Parmi cette correspondance, on découvre que Lucie Dreyfus a eu un rôle important dans le maintien de la santé mentale du capitaine Alfred Dreyfus.
Lucie Dreyfus est le personnage central de cette exposition, elle qui est toujours restée dans l’ombre de son mari.
Lucie est « le seul fil qui [le] rattache à la vie ». La correspondance apparaît alors comme une pièce maîtresse de l’Affaire, si l’on se place aussi du côté de l’histoire de l’individu Dreyfus lui-même, ce « héros méconnu ». Certaines lettres d’Alfred à Lucie, déchirantes de sincérité, ont été d’ailleurs publiées par Joseph Reinach dès 1898 comme preuves irréfutables de son innocence (Lettres d’un innocent).
Celles de Lucie, en revanche, sont restées pour la plupart inédites, quelques-unes interceptées par le ministère ne sont jamais parvenues à leur destinataire et d’autres, publiées en partie, ont été coupées par la famille, en particulier les passages les plus enflammés.
Une de ces lettres été choisie par le New York Times comme une des 50 lettres plus belles lettres d’amour de tous les temps.
En 1894, un officier juif de l’armée française, Alfred Dreyfus, est condamné pour trahison. Après une vaste campagne de presse, la France se divise en deux clans (dreyfusards et antidreyfusards) qui s’affrontent violemment.
Onze ans après sa condamnation, grâce à une bataille acharnée et une vague d’antisémitisme qui a éclaboussé la France, Alfred Dreyfus sera reconnu innocent.
« Quand pourrai-je t’embrasser ? Je t’embrasse des milliers de fois, je t’aime et je t’adore ma chère Lucie », écrit le capitaine Dreyfus, menotté au lit presque toute la journée.
C’est le côté romantique et beaucoup moins connu du couple Dreyfus qui est ici dévoilé, 120 ans après le début de l’Affaire Dreyfus. Cette correspondance est issue de la collection privée de la famille et révèle que l’affaire ne fut pas que persécution et captivité, mais aussi une magnifique histoire d’amour, une complicité dans un destin tragique teintée de romantisme.
La correspondance entre les deux époux débute avec l’emprisonnement d’Alfred en 1894 et se poursuit jusqu’à son retour de l’île du Diable en 1899.
Une des lettres les plus émouvantes fut celle écrite le 31 janvier 1895 après la célébre et humiliante cérémonie de la dégradation d’Alfred Dreyfus, au cours de laquelle son sabre est brisé par un militaire français.
« Quand pourrai-je t’embrasser et trouver dans ton amour si profond la force qui m’est nécessaire pour arriver au bout de ce chemin, de cette terrible épreuve ? », écrit Alfred à son épouse. « Embrasse tout le monde ma part, des baisers à ceux qui nous sont chers, je t’embrasse comme je t’aime ».
Et il lui explique également qu’il ne reçoit plus de courrier de sa part. « Jusqu’à présent, j’avais chaque jour un moment de bonheur quand arrivait ta lettre et je savourais quatre, voire cinq fois chaque mot. Au fur et à mesure, les mots écrits sont devenus des paroles vivantes. il me semblait t’entendre les prononcer à proximité de moi comme une musique qui me touchait jusqu’à l’âme. Mais epuis plus de 4 jours, rien, une morne tristesse, une terrible solitude », écrit Alfred Dreyfus.
Une des lettres écrites en 1894 témoigne de l’optimisme du capitaine juif, en dépit de sa situation délicate. « J’ai confiance en la justice de Dieu, au bout du compte, la vérité vaincra. Je n’ai pas de problème de conscience ».
En 1899, après son retour de captivité et alors qu’il est en attente de la révision de son procès dans une prison militaire, Lucie lui écrit: « Alfred, mon chéri, depuis 4 ans je me bats, je prie avec ferveur pour la venue du jour béni. Je me suis préparée à ce moment si émouvant. Je veux être forte et ne m’effondrer sous aucun prétexte. Nous avons tous les deux besoin de faire des efforts surhumains afin de nous concentrer et contrôler nos nerfs, et faire face vaillamment en vue de ce moment énorme. Je veux te dire des milliers de bonnes choses, te parler des enfants, de notre famille, de tous ceux que nous aimons, mais je crains de te faire du mal en évoquant d’autres sujets ».
L’exposition présente de nombreux éléments d’origine jamais exposés au public israélien, en particulier ceux liés à l’histoire familiale, comme, par exemple, le livre de prière personnel de Lucie, des photos de famille.
L’exposition replacera également l’affaire Dreyfus dans son contexte en évoquant l’intégration des Juifs dans la société française, avec leur empreinte, les artistes et les philosophes juifs dont une partie d’entre eux ont été très impliqués dans l’Affaire Dreyfus.
A la fin de l’exposition, sera présenté un film sur la manière dont les descendants de Dreyfus et les autres Juifs tentent aujourd’hui tant bien que mal de préserver leur identité juive. La boucle est alors bouclée entre Alfred Dreyfus, « israélite », qui croit en une France où les Juifs seront des « Français de confession mosaïque » et les Juifs d’aujourd’hui qui luttent contre l’antisémitisme moderne sous toutes ces formes.