C’était hier soir, en grandes pompes et avec beaucoup de solennité. Vous n’étiez pas
invités bien sûr et je vous rassure, nous non plus. L’une des toutes premières instances
de la communauté juive reçoit tout ce que la France compte d’officiels et de dignitaires
religieux, afin de marquer son ancrage dans la communauté nationale, de réaffirmer la
place des juifs dans la Nation Française, mais aussi d’évoquer la crise aigüe qu’elle
traverse depuis 10 ans à coups d’agressions, d’insultes et de délégitimations, avec en
guise d’excuse, le conflit israélo-palestinien et elle ne juge pas bon d’inviter la presse.
Enfin, pas nous en tous cas. Il faut croire qu’elle ne nous juge pas suffisamment
concernés. Qu’elle ne lit pas notre journal. Ou qu’elle ne nous aime pas, mais ce n’est pas
grave, nous ne sommes pas du genre à nous vexer.
Non, en revanche, nous sommes, je le reconnais, du genre à mettre les pieds dans le plat,
fut-il goûteux et préparé par les meilleurs traiteurs cashers de la capitale. Nous sommes
aussi du genre à appeler un chat un chat et là, en lisant le résumé de cette soirée, en
voyant défiler les photos des invités, j’ai un peu la nausée. Devinez qui était là, tout
sourire et débordant jusque par les oreilles de cette hypocrisie mielleuse dont savent se
tartiner eux-mêmes les politiques ? Jean-Jacques Urvoas, le nouveau ministre de la
Justice !
Il y a quelques jours, dans l’un de mes éditos, j’adressais une lettre ouverte au Garde des
Sceaux nouvellement installé, lui disant que j’osais espérer que son engagement « pour
les combattants de la Liberté » à Gaza, formule coquette qu’il emploie pour désigner les
boycotteurs du BDS, que la justice a condamnés en octobre dernier en qualifiant leur
action « d’illégale », ne nuirait pas à son objectivité lorsqu’il serait question
d’antisémitisme et d’islamo-terrorisme.
Il ne m’a, bien sûr, pas répondu et je vous avoue que ça me cause de l’insomnie quand
même, ce silence entre nous. Non c’est vrai, depuis le début du mandat de François
Hollande, les menaces pesant sur la communauté juive ont flambé. Toujours plus
violentes, toujours plus haineuses, les attaques par le passé attribuées à des
« déséquilibrés », comme Merah ou le gang des Barbares, sont désormais reconnues
pour ce qu’elles sont : de l’antisémitisme pur, irrationnel, cruel, tout aussi destructeur
que le furent l’idéologie nazie et sa tentative d’éradication du peuple juif. Par le
Président, par le Premier ministre, dont les paroles, lors d’un discours fondateur, l’an
dernier, ont fait vibrer l’ensemble de la communauté juive d’un côté et ceux qui croient
encore à la cohésion nationale et au principe républicain de l’autre. Oui mais voilà, il y a
un hic. Au sein de ce gouvernement humaniste, éclairé et engagé à lutter contre toutes
formes de discrimination, au premier rang desquelles l’antisémitisme, les paroles, ne
sont que des mots, encore des mots, toujours des mots… Car les actes, eux, racontent
une autre histoire.
Cette autre histoire, elle se déroule dans les urnes et les coins de bureaux ministériels,
dans les couloirs de l’Assemblée et au siège des partis politiques. Cette autre histoire
raconte le destin de fieffés hypocrites, dont la place au soleil, sous les Ors de la
République, vaut bien plus que quelques juifs en souffrance au sein de la Nation
française. Elle conte les petits arrangements électoraux, à quelques mois de la
Présidentielle, pour donner des maroquins aux copains. Et qu’importe si les copains,
eux, sont antisionistes dans l’âme, on ne va quand même pas s’embarrasser du sort de
quelques juifs et encore moins de celui de l’Etat d’Israël quand il s’agit de sauver sa peau,
et son siège éjectable.
Mais me direz-vous, la gauche, en place ou pas, est loin d’être la seule à jouer au jeu des
chaises musicales en prévision des prochaines échéances électorales alors pourquoi
pousser des cris d’orfraie. Je vous l’accorde. Ce n’est d’ailleurs pas, ici, aux politiques que
j’en veux.
Non, c’est ce dîner honteux, cette invitation qui n’a pas lieu d’être, cette réception en
grandes pompes d’un ennemi avoué d’Israël par les plus hautes instances de la
communauté juive qui me chiffonnent vraiment. Ambiguë, embarrassé, incertain, le
CRIF, lorsqu’il s’agit d’Israël, joue les amants du placard. On soutient Israël, le droit de
l’Etat hébreu à exister et à assurer la sécurité de ses citoyens. Mais on se laisse
doucement bercer par cette petite musique honteuse qui consiste à dire : nous juifs de
France sommes des citoyens français et par forcément des suppôts de l’Etat hébreu. Et
bien non : juif, sioniste, défenseur d’Israël, nous avons le droit, en France, sur le sol
républicain de revendiquer haut et fort nos idées, nos convictions, nos allégeances, sans
pour autant devoir en payer le prix dans les larmes et le sang.
Agresse-t-on un Français d’origine chinoise dans les rues de Paris, lorsqu’il manifeste
son soutien à son pays d’origine ? Non pourquoi ? L’agresse-t-on parce que son visage
dit ses origines ? Pas plus. Mais on agresse un juif car il est (forcément) un soutien de
l’entité sioniste. On tape la tête d’un enfant juif contre un poteau, jusqu’à le mettre en
sang, parce qu’il est juif et donc forcément responsable en quelque sorte du conflit
israélo-palestinien. Et plus personne à part les juifs ne trouvent ça dérangeant.
Ah si, Audrey Pulvar, femme, journaliste et de gauche, qui elle a noté le son strident qui
émane de ce discours dissonant, l’odeur putride qui se dégage de cette logique
nauséabonde.
Mais le CRIF, lui, ça ne le dérange pas tout ça. Monsieur Urvoas agite les fanions de
défense des « combattants de la liberté à Gaza ». Il valide les thèses profondément
malsaines de l’extrême-gauche qui, sous couvert de contester la politique du
gouvernement israélien, défile dans les rues de Paris avec ceux qui crient « Morts aux
Juifs » et nous, sympas, on l’invite à venir grignoter du petit four casher.
Enfin nous… Le CRIF, parce que ça fait bien longtemps que le CRIF, ce n’est plus nous.
Je suis mauvais langue, me direz-vous, rapport au fait qu’il est ministre de la Justice, le
protocole, on ne pouvait pas faire autrement, tout ca… Ouais… Il a bon dos le protocole.
J’aurais compris qu’on lui écrive publiquement, par la voie d’un communiqué de presse,
que le CRIF l’attendait de pied ferme au dîner pour discuter idéologie, mission de service
public, déontologie et objectivité.
J’aurais apprécié que le CRIF appelle le Premier Ministre pour lui dire, sur cette
nomination, sa façon, notre façon de penser. Je ne comprends pas, en revanche, qu’on
s’abaisse à recevoir un tel personnage et qu’on le régale aux frais de la communauté,
sans exiger de lui qu’il précise sa pensée sur le sujet. Sans en profiter pour lui demander,
devant toute l’assemblée, de se justifier.
J’ose espérer, au moins, que monsieur Urvoas n’a rien mangé au cours de ce dîner.
Maigre consolation, certes, mais ce serait la seule dont nous pourrions nous contenter.
Avoir la certitude qu’à défaut de leur dire notre colère et notre indignation, nous n’avons
pas engraissé les antisionistes aux frais de la communauté…
Am Israel Hai
Alain SAYADA