BERLIN, 07 nov 2013 (AFP) – Soixante-quinze ans après la « Nuit de Cristal »,
le grand pogrom avant la Shoah, les juifs ne considèrent plus l’Allemagne
comme un pays de nazis, en témoigne la renaissance de cette communauté grâce à
l’immigration russe.
Ils sont désormais environ 200.000 à vivre dans ce pays, selon le Conseil
central des juifs en Allemagne. Un chiffre qui fait de cette communauté la
troisième d’Europe, derrière la Grande-Bretagne et la France, estime le
ministère allemand de l’Intérieur.
Une situation impensable après la chute du IIIème Reich: en 1950, seuls
15.000 juifs vivaient encore en Allemagne, contre 560.000 en 1933.
L’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler marqua le début des heures les plus
sombres de l’histoire allemande. La « Nuit de Cristal », le 9 novembre 1938,
montra à la face du monde la violence antisémite du régime nazi qui atteindra
son paroxysme dans les camps d’extermination.
« Après la guerre, les quelque juifs qui vivaient en Allemagne, dans un pays
encore plein de nazis, détestaient les Allemands. Une haine qu’ils ont
transmise à leurs enfants », constate David Ranan, descendant d’Allemands né en
Israël et auteur d’un ouvrage qui paraîtra fin novembre sur les jeunes juifs
vivant actuellement en Allemagne.
Une situation décrite également par le fondateur du magazine « Jewish Voice
From Germany » (La voix juive d’Allemagne), Rafael Seligmann, dans un entretien
à l’AFP: « Quand je suis arrivé d’Israël en 1957 en Allemagne, ce fut pour moi,
en tant que petit garçon, dramatique ».
« Il y a encore 35 ans, les juifs vivant en Allemagne considéraient que leur
patrie était Israël », raconte M. Ranan.
La troisième génération après les camps a en revanche grandi sans haine,
ajoute-t-il après avoir interviewé une cinquantaine de jeunes juifs allemands.
« Ils se sentent différents mais pas étrangers en Allemagne », explique-t-il.
Pour Rafael Seligmann, dont le magazine en allemand et en anglais paraît
dans le monde entier, il fait désormais bon vivre en Allemagne quand on est
juif.
Il fustige ainsi le livre provocateur de Tuvia Tenenbom, directeur du
Théâtre juif de New York, « Seul parmi les Allemands » paru en 2012 qui
affirmait que le pays était toujours secrètement antisémite. « C’est un idiot
qui veut faire parler de lui », assène-t-il.
Avant la chute du Mur de Berlin, la communauté juive comptait moins de
30.000 membres et était menacée de disparition. Tout changea après 1989, quand
l’Allemagne, en raison de sa responsabilité historique, offrit la possibilité
aux juifs originaires des pays de l’ex-Union soviétique de venir s’installer
chez elle.
Près de 200.000 d’entre eux, essentiellement motivés par des raisons
économiques, y émigrèrent.
Les accueillir, « c’était aussi une façon pour le gouvernement allemand de
montrer que le pays était enfin devenu respectable », estime M. Ranan.
L’intégration de ces nouveaux arrivants qui ne parlaient pas allemand ne
fut guère simple. L’Allemagne n’a cependant eu de cesse de soutenir le
renouveau de la communauté juive ces vingt dernières années.
Ont ainsi été érigées ou rouvertes de nombreuses synagogues, comme
l’illustre la restauration en 2007 de celle de la Rykestrasse, dans le centre
de Berlin, la plus grande du pays.
Des séminaires rabbiniques ont aussi été créés, tel le collège
Abraham-Geiger de Potsdam, près de Berlin, le premier depuis l’Holocauste,
inauguré en 2000. Et des rabbins ordonnés, dont les trois premiers depuis la
Shoah en 2006.
En 2012, le jugement d’un tribunal de Cologne avait néanmoins créé une
polémique internationale en déclarant hors la loi et passible de poursuites
pénales la circoncision des enfants pour motif religieux.
Un verdict qui a conduit l’Allemagne à se doter d’une loi autorisant la
circoncision des enfants pour motifs religieux. « Cette loi était une façon de
dire aux juifs et aux 4 millions de musulmans vivant en Allemagne, ‘vous êtes
les bienvenus' », estime M. Seligmann.
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