MOSCOU, 14 oct 2013 (AFP) – La Russie commémorait lundi le 70e anniversaire
de la révolte du camp de Sobibor, la plus importante évasion de prisonniers
d’un camp nazi pendant la guerre, organisée par un officier de l’Armée rouge,
un événement occulté pendant des décennies en URSS.
A l’approche de cet anniversaire, le président russe Vladimir Poutine a
chargé le ministère de la Défense d’élaborer un projet pour « immortaliser les
héros qui s’étaient révoltés dans le camp d’extermination nazi de Sobibor »,
dans le sud-est de la Pologne, le 14 octobre 1943.
Cette décision a été prise à la suite de l’appel du Conseil consultatif
pour les droits de l’homme auprès du Kremlin à décerner post-mortem l’ordre de
Héros de la Russie — la plus haute distinction du pays — à l’organisateur de
la révolte, le lieutenant Alexandre Petcherski, dont l’exploit a été occulté
pendant toute l’époque soviétique en raison de ses origines juives.
Non seulement Petcherski n’a reçu aucune décoration pour son rôle majeur
dans cette révolte, au cours de laquelle quelque 400 prisonniers ont tenté de
s’échapper, mais il a été persécuté pendant les campagnes antisémites de
l’époque stalinienne.
« Manifestement, le régime totalitaire n’était pas intéressé par cet acte
héroïque », a déclaré à l’AFP le chef du Conseil consultatif pour les droits de
l’homme auprès du Kremlin, Mikhaïl Fedotov.
Même après la mort de Staline en 1953, il n’était pas politiquement
souhaitable d’inscrire l’héroïsme de Petcherski dans l’histoire officielle
soviétique. « Personne ne voulait prendre le risque d’attirer l’attention sur
lui », estime l’historien Iouri Dombrovski.
Le lieutenant Petcherski, fait prisonnier après être tombé dans une
embuscade, a été envoyé au camp d’extermination de Sobibor en septembre 1943
en raison de ses origines juives.
Moins d’un mois après son arrivée à Sobibor, Petcherski a organisé avec
d’autres prisonniers une révolte particulièrement audacieuse, tuant un par un
une dizaine d’officiers de la SS et des gardiens ukrainiens du camp.
Quelque 300 prisonniers ont alors réussi à s’échapper en faisant une brèche
dans les barbelés, alors que 80 autres ont été tués par les gardiens. Près de
170 révoltés ont ensuite été capturés par les nazis et fusillés.
Des prisonniers qui n’avaient pas participé à la révolte ont également été
exécutés. Les nazis ont ensuite démoli Sobibor pour effacer toute trace de ce
camp où, au total, plus de 250.000 personnes ont été tuées.
Lundi, une cérémonie commémorative devait avoir lieu dans une synagogue de
Moscou, en présence de représentants de l’administration présidentielle et du
ministère de la Défense.
Dans le cadre de cette commémoration, qui s’inscrit dans la campagne du
Kremlin visant à renforcer le patriotisme en Russie, la télévision publique va
diffuser mardi un documentaire sur la révolte de Sobibor.
En 1987, un film britannique « Les rescapés de Sobibor » avec l’acteur
hollandais Rutger Hauer dans le rôle principal a déjà rendu hommage à cette
révolte.
Une rue en Israël et un mémorial à Boston portent le nom de Petcherski.
« Relations compliquées avec l’histoire »
« N’est-ce pas étonnant qu’un acte héroïque connu dans le monde entier n’ait
pas été honoré publiquement en Russie? », s’est interrogé Léonid Mletchine,
auteur du documentaire télévisé sur Sobibor, qui a avoué à l’AFP n’avoir
appris que récemment l’histoire de cette révolte.
« Notre société a des relations compliquées avec l’histoire », remarque-t-il.
Après s’être échappé de Sobibor, Petcherski est retourné au front. Mais
lors de la campagne antisémite lancée en URSS après la fin de guerre, il est
devenu l’objet de persécutions et les autorités soviétiques ont tout fait pour
que la révolte de Sobibor organisée par un Juif tombe dans l’oubli.
Petcherski n’a pu obtenir son premier emploi — dans une usine — qu’après
la mort de Staline.
Il est resté en contact avec les autres rescapés, mais n’a jamais été
autorisé à voyager à l’étranger pour participer à des cérémonies
commémoratives ou des procès de criminels nazis.
Alexandre Petcherski est décédé en 1990 à Rostov-sur-le-Don, sa ville
natale, où quasiment personne ne savait qu’il était à l’origine de la seule
évasion massive réussie d’un camp nazi pendant la Seconde guerre mondiale.
or-as-mp/nm/ai